Janáček dans la presse musicale - septembre 2023
Dans Classica quel plaisir de trouver deux mentions de la musique de Janáček et pas n’importe lesquelles. Taras Bulba dans « L’écoute en aveugle » qu’ont pratiquée au fur et à mesure de leur création la plupart des mensuels musicaux et à laquelle recourent actuellement Diapason et Classica. La radiophonique Tribune des critiques de disques d’Armand Panigel apparue dès 1946 a fait des émules dans la presse écrite. Après 1983, elle a changé plusieurs fois de nom en maintenant l’écoute en aveugle de différentes interprétations d’un même ouvrage pour désigner celle(s) qui rassemblai(en)t les suffrages de la majorité des membres du jury de cette tribune.
Revenons dans l’actualité présente et ouvrons la livraison du dernier numéro paru (en septembre) de Classica. Déjà, la couverture de la revue nous alerte sur Taras Bulba. Les pages 76 à 81 dressent une liste presque complète des différents enregistrements qui se sont succédés depuis celui effectué par Henry Swoboda en 1951 précédant d’une année Břetislav Bakala, élève du compositeur. Après un survol critique de ces enregistrements sous la responsabilité de chefs tchèques et de dirigeants d’orchestre d’autres nationalités, les trois journalistes retiennent six versions qu’ils soumettent à une écoute en aveugle.
Couverture de la revue musicale Classica de septembre 2023 |
Après leur écoute, ils classent Guennadi Rojdestvenski et l’orchestre de la BBC en dernière position. Un peu meilleur leur apparait le disque de Václav Neumann et de la Philharmonie tchèque. John Eliot Gardiner et l’orchestre de la NDR occupent la quatrième place. Les trois premières positions sont monopolisées par trois chefs tchèques, Karel Ančerl avec la Philharmonie tchèque, Rafael Kubelík et l’orchestre philharmonique royal et Jiří Bělohlávek et la Philharmonie tchèque une nouvelle fois. En choisissant une de ces interprétations, on a le sentiment de s’approcher au plus près du drame que la musique de Janáček nous conte. Chacun de ces trois chefs a laissé plusieurs enregistrements avec des phalanges orchestrales différentes. Même si le jury de Classica a souligné la référence suprême (Jiří Bělohlávek), on ne se trompe pas beaucoup si on possède une autre exécution dirigée par l’un de ces chefs. D’ailleurs d’autres versions ont été distinguées par un critique musical ou un autre à une époque donnée. Malgré quelques réserves plutôt mineures, elles peuvent permettre une bonne connaissance de cette œuvre orchestrale de Janáček.
La revue Classica offre un disque, en complément des articles et des enregistrements distingués par les rédacteurs, comprenant des extraits de ces œuvres. Mais depuis quelques mois, chaque livraison de la revue comporte en plus un autre disque intitulé « les introuvables » qui, comme son nom le laisse penser, propose des interprètes disparus des rayons des disquaires depuis longtemps pour la plupart d’entre eux. Ainsi les livraisons des numéros précédents de la revue musicale ont, par exemple, offert des enregistrements des violonistes Max Rostal et René Benedetti, des pianistes Georges Solchany, Elie Robert Schmitz et de la mezzo-soprano suédoise Kerstin Meyer.
Dvořák, Quatuor américain Janáček, Quatuor Lettres intimes |
Avec ce numéro de septembre 2023, Classica présente un enregistrement de deux quatuors tchèques, l’un de Dvořák, le quatuor B 179, bien connu sous le nom de quatuor américain et l’autre de Janáček, Lettres intimes interprétés par le Quatuor Vlach, qui avec le Quatuor Janáček et avec le Quatuor Smetana ont su porter les ouvrages emblématiques pour les quatre cordes de leurs compatriotes compositeurs Smetana, Dvořák et Janáček. Les quatre musiciens du Quatuor Vlach, Josef Vlach, Václav Snítil au violon, Josef Kod’ousek à l’alto et Viktor Moučka au violoncelle, choisis par la revue pour constituer ce disque des « introuvables », jouent dans leur « arbre généalogique », formule commode qui ne détient qu’une part de la vérité musicale. Ces musiciens n’apportaient pas aux discophiles la découverte du second quatuor de Janáček, puisqu’il avait été enregistré à huit reprises avant leur interprétation de 1958. Cependant, le langage particulier du compositeur, et pour ce qui nous intéresse ici, la musique de ses deux quatuors n’avait pas rencontré énormément d’interprètes, même dans son pays. Les Vlach ont tendance à limer les aspérités, à gommer la rudesse des enchainements rythmiques et ainsi ne donnent pas une image vraiment complète de l’ouvrage. Plus tard, d’autres ensembles, tchèques ou non, apprendront, à partir des avancées de leurs prédécesseurs, à quitter le confort que les habitudes ont souvent occasionné dans le jeu d’une assez grande partie des instrumentistes des quatuors à cordes. Il y a quarante ans et même trente, lorsqu’on écoutait la version Vlach ou celle des Janáček, on les trouvait hardis, voire imprudents, grinçants parfois, mais en cohérence avec l’expression du compositeur. Depuis d’autres ensembles ont fait leur miel de ce langage, les Pražák par exemple. Cependant les Vlach ont été parmi les premiers avec les Janáček et les Smetana à se trouver, pour l'époque, en concordance avec les différents climats des Lettres intimes.
Les deux belles mentions trouvées dans ce numéro de Classica confirment, s’il en était besoin, l’importance donnée par le monde musical au compositeur tchèque. Si sa musique a mis beaucoup de temps à être jouée en France, elle tend depuis deux ou trois décennies à y être considérée comme celle d’un créateur incontournable, certes un peu en dehors des différents courants musicaux qui se sont succédés durant le XXe siècle.
En 2020, des membres de la même revue Classica avaient écouté en aveugle la Sinfonietta de Janáček.
Pas plus tard que le 8 octobre 2023, la Tribune des critiques de disques a écouté à l’aveugle Sur un sentier recouvert.
Ces jours derniers, Janáček est à l’honneur dans les médias français !
Après avoir écouté La Tribune des critiques de disques de ce dimanche 8 octobre, ce qui m’a le plus marqué, c’est le sérieux avec lequel les trois commentateurs considéraient Janáček. De la part du meneur de jeu, Jérémie Rousseau, cet aspect n’est pas une surprise. Son livre, Leoš Janáček, paru en 2005 chez Actes Sud, témoigne de sa forte compréhension de la musique du compositeur morave.
Qu’il est loin le temps où on mésestimait Janáček : on le toisait comme un compositeur de seconde zone, pas plus. Depuis un certain nombre d’années, il est un musicien en dehors des modes, c'est exact, mais quelle présence, quelle profondeur possède sa musique, quelle densité émotionnelle elle porte, quelle modernité particulière transmet-elle.
Joseph Colomb - octobre 2023
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