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9 septembre 2023

En 1905, Janáček ignoré en France

 En 1905, Janáček ignoré en France

Depuis longtemps, on sait que Janáček s’intéressa de très près à la musique populaire de la Moravie, son pays, quitte à ce que, pendant encore assez longtemps, on ne retienne que cet aspect dans sa musique : compositeur provincial uniquement attaché à la musique des villageois. Même dans son pays, la future Tchécoslovaquie qui n’obtiendra son indépendance qu’en 1918 après n’avoir longtemps été qu’une province de l’Empire autrichien, on ignora presque tout de sa musique jusqu’au succès pragois de Jenůfa en 1916. Dix ans auparavant, dans les pays étrangers, on ne savait rien de ce compositeur.


Pierre Aubry, auteur de la brochure 
Esquisse d’une Bibliographie de la Chanson Populaire en Europe

Une preuve supplémentaire de cette ignorance nous est donnée dans le contenu d’un petit livre paru à Paris en 1905 chez Alphonse Picard. Ecrit par Pierre Aubry, archiviste paléographe, volume intitulé Esquisse d’une Bibliographie de la Chanson Populaire en Europe, et dédié à Felipe Pedrell. Sur 35 pages, il dresse donc une bibliographie de la chanson populaire, parfois commentée, parfois non. Dans son avant-propos, il  annonce le but de son étude : « Sans faire ici une revue des écoles contemporaines, qui d'Espagne nous entraînerait jusqu'en Russie, sans développer à nouveau les doctrines familières des maître  qui ont fait une place à l'inspiration populaire dans leurs compositions, – Felipe Pedrell, Vincent d'Indy, Grieg, Balakirev, Rimski-Korsakov et tant d'autres, constatons simplement l'intérêt d'une esthétique qui cherche ses raisons d'être dans l'âme même des peuples et qui sait en extraire un peu de ce que les siècles passés y ont accumulé de richesses. »


Page de titre de la brochure de Pierre Aubry

Les mélomanes de ce début du XXe siècle trouvèrent des noms de compositeurs dont la musique commençait à percer dans notre pays grâce surtout à Serge Diaghilev et aux Ballets russes. Ainsi Rimsky-Korsakov, cité par Pierre Aubry, était connu en France par Shéhérazade, mais très peu Balakirev et encore moins Liapounov, auteurs de recueils de chants populaires, dont les compositions de musique savante tardaient à s’imposer en France. Les mélomanes férus de Grieg ont peut-être entendu parler de Lindeman, un des premiers collecteurs norvégiens de musique populaire de son pays. Par contre, en Hongrie, dans ce livret, il n’est nulle question de Bartók, ni de Kodaly pour la simple raison que les deux compositeurs hongrois commençaient à peine à collecter dans les villages. En Autriche, le lecteur attentif de ce site ne sera pas surpris de trouver le nom du Docteur Josef Pommer, à cette date de 1905, président du comité autrichien Das Volkslied in Österreich (Chant populaire en Autriche). En cette année 1905, Janáček, de son côté, était le président du comité de travail pour le chant national tchèque en Moravie et Silésie  et à ce titre les rapports avec Josef Pommer s’établirent. 


Puisqu’il est question d’Autriche, de Moravie et de Bohême,  ces deux provinces qui deviendront la Tchécoslovaquie, signalons les trois albums retenus par l’auteur : 

  • SUŠIL (František). – Moravské Národni Písně (Chansons nationales moraves). Brünn (Brno), 1840. Nouvelle édition en 1860. 
  • ERBEN (Karel-Jaromir). Chansons tchèques populaires et refrains. Prague, 1886, 2 vol.
  • BARTOŠ (Fr.). Národni písně moravské v nove nasbirané (Chansons nationales moraves nouvellement collectées). Brünn (Brno), 1889, in 8.

de gauche à droite : František Bartoš - Karel-Jaromir Erben - František Sušil 

L’auteur citait également un livre de Čeněk ZIBRT, un Tableau bibliographique des chants populaires tchèques, paru à Prague en 1895.


La musique et le nom de Janáček n’avaient pas franchi les Alpes, si bien que les Français mélomanes n’avaient aucune information sur ce compositeur. Il est vrai que sa musique était à peine jouée à Prague, la capitale des pays tchèques. La création de Jenůfa n’intervint qu’en 1904 à Brno, ville importante de Moravie, mais loin du prestige de Prague, si bien que le succès de son nouvel opéra resta cantonné à sa province, la Moravie, et qu’elle n’eut qu’un faible écho à Prague. Inconnu à Prague, inconnu dans les pays étrangers. A travers deux ou trois pièces chorales, sa musique n’entrera qu’en 1908 en France, à Paris précisément, lors de la tournée de la chorale des instituteurs moraves. 


Le recueil publié par František Bartoš en 1889 contenait un bon millier de chants populaires. S’il rédigea une préface, il confia à son nouveau collaborateur, Leoš Janáček,  futur compositeur de plusieurs opéras devenus célèbres bien plus tard, d’écrire une étude, la première de sa collaboration avec Bartoš. Les deux hommes la feront suivre d’une nouvelle étude dans leur recueil commun ultérieur.  Cette activité de Janáček restera inconnue en France pendant longtemps. En 1905, Pierre Aubry n’en avait pas connaissance, raison pour laquelle  le nom de Janáček  n’apparait pas dans son livret. 


Čeněk Zibrt lança à Prague la revue Český Lid (La Nation tchèque) à laquelle František Bartoš participa et un peu plus tard Janáček également.


Cette brochure centrée sur la musique populaire des pays d’Europe se trouvait en connexion avec les préoccupations d’une partie des musiciens et musicologues français comme Vincent d’Indy, Bourgault-Ducoudray, Julien Tiersot qui cherchaient à ressusciter des chants anciens de différentes provinces françaises. Un peu plus tard, vers 1931, suite à la parution du livre de Daniel Muller  Julien Tiersot tourna son regard vers l’Europe Centrale où il s’intéressa à Janáček en livrant au Ménestrel trois pages sur ce compositeur avec qui il avait un intérêt commun, celui de la musique populaire.


Pour voir les débuts de la diffusion française de la musique de Janáček, après avoir cliqué sur ce lien, se rendre dans la partie 6 intitulée «  réception française ».


Joseph Colomb - août 2013

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