Deux compositions concertantes de Janáček
Concertino - Capriccio
Cet article a été primitivement rédigé en 2013 pour présenter un CD que Forgotten Records envisageait de graver à partir des disques originaux. Malgré toute sa science et tous ses soins, après plusieurs tentatives, Alain Deguernel dut abandonner son projet parce que les originaux de 1948 et 1949 se trouvaient vraiment trop mal enregistrés. Un nettoyage sonore respectant la musique s'avérait donc impossible sans dénaturer les œuvres présentes. Par conséquent, j’ai donc décidé de présenter aux lecteurs de ce site les deux œuvres concertantes de Janáček dans lesquelles le piano dialogue avec quelques instruments de l’orchestre.
Malgré le succès de Jenůfa à Prague en 1916 qui lui ouvrit les portes de la reconnaissance par ses compatriotes, parachevé à Vienne en 1918 et surtout à Berlin en 1924 qui sonna le début de son succès en Allemagne, Janáček restait un compositeur morave, fêté à Brno dont la stature n’était pas encore reconnue à sa juste place ailleurs que dans son pays. S’il ne quittait pas très souvent sa Moravie, Janáček demeurait néanmoins attentif à ce qui se passait ailleurs. Ses invitations à différents festivals de la Société Internationale de Musique Contemporaine, à Salzbourg en 1923, à Prague et à Venise en 1925 (et plus tard à Francfort en 1927) lui offrirent l’occasion d’entendre la musique de ses jeunes collègues d’Europe et même d’Amérique. Et il ne s’en désintéressa pas, même s’il préférait se concentrer sur les opéras et les œuvres qu’il composait au cours de ces années. Il continuait à tracer sa propre voie, sans se laisser influencer par les modes et les courants plus profonds qui se manifestaient à Vienne, à Paris, à Berlin ou ailleurs dans le Monde, au risque d’être incompris par ses pairs.
Tout occupé à composer les dernières répliques de son opéra L’Affaire Makropoulos, malgré cette tâche, il débuta en février 1925 l’écriture de sa première œuvre concertante, le Concertino. Et comme Janáček décidément ne faisait rien comme personne avant lui, il innova encore avec cette œuvre. L’année 1925 fut plutôt bien remplie pour ce musicien septuagénaire : première pragoise de La Petite Renarde rusée à l’occasion du festival de la Société Internationale de Musique Contemporaine, première représentation à Brno de Šarka, opéra composé en 1887, révisé pendant ces dernières années, composition de la première mouture des Řikadla, voyage à Venise pour le festival de musique de chambre de la Société Internationale de Musique Contemporaine avec l’exécution de son premier quatuor à cordes.
Continuant à feuilleter l’éphéméride Janáček, on arrive à 1926. Quelle année de nouveau pour le compositeur ! Non seulement, au printemps, il composa sa Sinfonietta qui devint l’une de ses œuvres les plus célèbres, mais au cours de l’été, il écrivit sa Messe glagolitique qui se démarqua de toutes les autres messes commises dans la première moitié du XXe siècle et évidemment de celles du XIX° siècle. Il entreprit un concerto pour violon qu’il abandonna rapidement (Pélerinage d’une âme, IX/10). Sans compter un bref séjour en Angleterre à l’instigation de Rosa Newmarch, une musicographe active qui aida la diffusion de la musique de Janáček dans son pays. De plus, à l’extrémité de cette année, il amplifia ses Řikadla de l’année précédente, en leur ajoutant onze pièces et un instrumentarium développé. L’année 1926 vit aussi l’éclosion d’une deuxième pièce concertante pour le piano, Capriccio.
Examinons ces deux ouvrages en commençant par le Concertino. Délaissant un accompagnement orchestral symphonique avec l’ensemble de ses pupitres, Janáček ne se lança pas dans un classique concerto pour piano avec ses trois ou quatre mouvements bien identifiés. Il choisit un ensemble de chambre, plutôt inusité pour emboîter le pas à son soliste : six instrumentistes glanés parmi les cordes (dont deux violonistes et un altiste) et parmi les vents (un clarinettiste, un corniste et un bassoniste). Dans la littérature musicale contemporaine, rien qui ne lui ressemblât. On pourrait à la rigueur discerner le même choix d’austérité chez Manuel de Falla dans sa façon d’entourer son soliste de seulement quelques instruments dans son Concerto pour clavecin, mais il est postérieur de trois ans au Concertino de Janáček.
Janáček, tout au long de sa vie, éprouva le besoin de s‘exprimer aussi par écrit. Comme sa musique, ses pages furent marquées du sceau de l’originalité. Celles traitant du Concertino plongeaient le lecteur dans la perplexité ; devait-il prendre argent comptant les affirmations du compositeur qui déroulait au long de ses quatre mouvements des histoires d’animaux ou tenter de lire entre ses lignes suintant d’humour ?
«Concertino pour piano, 2 violons, alto, clarinette, cor et basson
1er mouvement.
Un jour, c’était au début du printemps, nous avons bloqué l’accès de son repaire, dans un vieux tilleul, à un hérisson. Son abri dans le vieux tilleul était garni avec de la litière douillette.
Comme il s’était fâché, celui-là !
Il n’arrivait guère à se calmer ; voilà pourquoi mon cor s’attarde sur le même motif bourru. (P)
Aurait-il plutôt dû, mon cher hérisson, se mettre sur ses pattes arrière et chanter une complainte ? A peine a-t-il montré son museau que déjà il a dû le cacher.
Le piano scande un motif de dix notes, répétées quasiment telles quelles tandis que, par intervalle, le cor ronchonne le motif bourru indiqué par le compositeur. Les autres instruments restent muets.
2e mouvement
Drôlement bavard était l’écureuil tant qu’il gambadait dans les couronnes d’arbres. Puis, en cage, il grommelait comme une clarinette - mais même ici, il tournoyait et dansait pour la joie des enfants.
Janacek emprunte la diction de la clarinette à celle qu’il a utilisée l‘année précédente dans sa première version des Řikadla.
3e mouvement
Infatué est le regard sot, exorbité de la chouette, du hibou et de toute la valetaille critique de nuit, plongé qu’il est dans les cordes du piano.
Traits de cordes aigües, vocalises de clarinette, piano percutant. Au milieu, reprise de tout ce discours instrumental dans un caractère apaisé et presque nostalgique, mais l’inquiétude reprend ses droits et le halètement du piano termine le mouvement ponctué par les stridences des cordes.
4e mouvement
Dans le quatrième mouvement, on dirait que tout le monde se querelle pour un sou - comme dans un conte de fées.
Et le piano ?
Il faut bien sûr quelqu’un pour remettre de l’ordre dans tout cela.
Je pense que chaque mouvement contient trois motifs. (1)
Et voilà qui doit suffire à l’auditeur - à condition qu’il ne ressemble pas à Korngold (2). Cela a suffi également au compositeur de ce petit caprice. (3)»
Le piano, qui mène le jeu de ses partenaires, évoque ici et là des sonneries de cloches. Jubilation parfois sur un sautillement évoquant une danse sans retenue, tendresse avec ses sons étouffés, précipitation de la phase finale.
Comme à son habitude, Janáček accompagnait son texte de citations musicales pour signifier son propos dans le langage qui lui importait, la musique, à travers sa représentation graphique, notes sur une portée, indiquées ici (P).
Malgré les indications animalières du compositeur, il serait vain de chercher un prolongement du climat général de La Petite Renarde rusée composée trois ans auparavant ou d’une de ses nombreuses déclinaisons. Janáček répétant rarement un discours musical antérieur, dans ce Concertino, ne cesse de surprendre, d’interpeler l’auditeur, en utilisant de courtes cellules mélodiques d’une mobilité sans fin.
Création du Concertino de Janáček à Brno, le 16 février 1926 par la pianiste Ilona Štěpánová-Kurzová |
Lors d’un concert placé sous l’égide du Club des compositeurs moraves, la création du Concertino eut lieu le 16 février 1926 à Brno sous les doigts de la pianiste Ilona Štěpánová-Kurzová (4). Prague n’attendit que 4 jours pour découvrir ce Concertino toujours interprété par Ilona Štěpánová-Kurzová. La même pianiste donna cette œuvre à Vienne et à Berlin en fin d’année 1926. Et le 30 juin de l’année suivante, ce fut encore elle qui la révéla aux oreilles du public présent lors du cinquième festival de la Société Internationale de Musique Contemporaine à Francfort, où Janáček représentait la Tchécoslovaquie pour la troisième fois.
«Alors, hier, j’ai remporté ici la victoire. Quand on a fini de jouer, le public s’est mis à m’acclamer. J’étais assis au parterre parmi les auditeurs - modestement. Soudain, tout le monde commençait à se tourner vers moi : il fallait que je me lève et que je salue de tous les côtés. Et affluaient les félicitations de la part de gens tout à fait inconnus. (5) » Janáček, âgé alors de 73 ans, à la réception de tous ces signes de reconnaissance, devait se souvenir de l’indifférence hostile ou polie dans le meilleur cas qui, vingt ans auparavant, accueillait ses œuvres, ailleurs que dans sa ville de Brno. Quelle revanche sur l’adversité !
Dès la création à Brno, Ludvík Kundera rédigea pour la revue Hudební rozhledy (Horizons musicaux) un texte où il exposait les objectifs que Janáček suivit dans la composition de ce Concertino. On sait que le compositeur, peu prolixe, s’en tenait à l’essentiel avec ses interlocuteurs. Mais avec ses anciens élèves et les musiciens qui l’entouraient dans le Club des compositeurs moraves, la confiance régnait. Il pouvait s’épancher un peu plus largement sans craindre que ses propos soient déformés par des interlocuteurs mal intentionnés. Il est probable que, avant même que cette œuvre fut présentée au public, Ludvík Kundera en ait eu une connaissance précise.
Comme si «ce petit caprice» ne suffisait pas à Janáček, l’année suivante, il mit sur le métier une seconde composition concertante. Il en modifia l’agencement. Plus de cordes, mais six cuivres, une frêle flûte et le pianiste qui ne se sert que de la main gauche.
Pourquoi une telle composition ? On connaît le Concerto pour la main gauche et on sait également les circonstances de sa composition, découlant d’une commande à Ravel du pianiste autrichien Paul Wittgenstein qui avait été amputé de son bras droit. La guerre de 14-18 broya aussi bien les soldats musiciens que les appelés appartenant aux autres professions enrôlés dans l’affrontement sanglant et ce dans chaque camp antagoniste. Otakar Hollmann, pianiste tchèque revint des champs de bataille en ayant perdu l’usage de sa main droite. Pour continuer à exister dans le monde musical, il commanda à des compositeurs tchèques des ouvrages ne mettant en jeu que sa main gauche. Et c’est là que Ludvík Kundera s’introduisit dans l’histoire. Avec Jaroslav Kvapil et Vilém Petrželka il fonda en 1922 le Club des compositeurs moraves dont la présidence échut dans un premier temps à Janáček. Dès le début de l’année 1926, Hollmann intervint auprès de Ludvík Kundera pour qu’il intercède auprès de Janáček afin que ce dernier lui écrive une œuvre qu’il pourrait exécuter, moyennant le versement de 5 000 couronnes. Sans doute après avoir sondé Janáček, Kundera lui suggéra de s’adresser directement au compositeur. C’est ce qui se passa. A la fin de l’année 1926, le pianiste reçut une copie de la partition.
On attendit une année entière avant la première audition. Le 2 mars 1928, Otakar Hollmann (6) créa le Capriccio à Prague sous la direction du jeune compositeur Jaroslav Řídký (1897 - 1956) suivant la première pragoise de L’Affaire Makropoulos donnée le jour précédent.
Qu’apportait de neuf ce Capriccio (7) ? Un instrumentarium inaccoutumé dans lequel les cuivres se taillaient la part belle en explorant souvent les registres extrêmes, s’opposant au babil de la flûte. Le piano, tantôt gauche ou embarrassé, tantôt volubile et éloquent, menait le bal. Une grappe de notes du piano ponctuées par les cuivres, grappe de notes reprises par la fanfare qui tombe dans le grave se mariant aux sons cristallins du piano. Un peu plus loin, situation inverse, le piano se cantonne dans le grave et brave la stridence des trompettes. Dans l’adagio, une mélodie au clavier rappelle la nostalgie de certaines pièces du Sentier recouvert. Dans l’allegretto, la flûte bifurque vers les tonalités des Řikadla contemporaines. Dans la dernière pièce, les cuivres explorent des registres extrêmes, tantôt dans la profondeur du grave, tantôt dans l’agilité aérienne des aigus. Et souvent, de courtes phrases mélodiques qui se répètent. Janáček ne cherche pas à plaire ; il promène son auditoire dans des microcosmes étranges, parfois cocasses, de temps à autre tendres et mélancoliques, souvent imprévisibles et toujours dans un grand éventail de climats.
Si l’on excepte le Quatuor Lettres intimes de peu postérieur, ces deux ouvrages concertants apportent la touche finale au corpus de musique de chambre de Janáček, peu nombreux en quantité, mais comme toujours chez le compositeur, très varié dans son expression et ancré résolument dans la modernité (Pohádka - 1910, Sonate pour violon et piano - 1915, Mládí pour sextuor à vents - 1924, les deux quatuors - 1923 et 1928).
Cité plusieurs fois depuis le début de cet article, il faut connaître un peu plus précisément Ludvík Kundera. Né à Brno en 1891, il étudia le piano dans sa ville natale (ainsi qu’à Paris) et le chant à Prague. A partir de 1920, il devint professeur au Conservatoire de musique, crée tout récemment sur les bases de l’Ecole d’orgue lancée près de 40 ans auparavant par le compositeur de Jenůfa. Ludvík Kundera eut son premier contact «officiel» avec Janáček le 17 septembre 1922, date de la création du Club des compositeurs moraves. Il y rejoignit d’anciens élèves de l’Ecole d’orgue du compositeur (Vilém Petrželka, Břetislav Bakala, Jaroslav Kvapil, Václav Kaprál, František Neumann). En novembre 1924, Kundera rédigea un article sur le style pianistique de Janáček dans un numéro de la revue de Vladimir Helfert, futur biographe du compositeur. En 1926, Kundera participa aux fêtes qui accompagnèrent la pose d’une plaque sur l’école et maison natale de Janáček, en son honneur. A Kopřivnice, c’est au piano qu’il s’illustra dans des œuvres du maître d’Hukvaldy. Les années suivantes, il collabora de plus près à certaines compositions de Janáček. Il établit la version piano de L’Affaire Makropoulos que le compositeur retoucha in fine. Dans les derniers mois de la vie du maître de Brno, ce fut encore à Ludvík Kundera que le compositeur confia le soin d’établir une version pour piano de sa Messe glagolitique. De 1922 à 1928, ainsi Kundera côtoya Janáček à plusieurs reprises dans ses travaux musicaux. De cette fréquentation découla une compréhension profonde et un respect du pianiste envers le compositeur morave.
Un an après la disparition de Janáček, un événement heureux survint dans la vie de Ludvík Kundera, événement qui aura beaucoup plus tard des répercussions dans la diffusion de la musique de Janáček. Un jeune garçon prénommé Milan par ses parents vint au monde. Né dans un tel milieu musical, il s’en imprégna. A l’âge adulte, au fil de ses livres, il égraina ses réflexions sur la riche musique populaire de la Moravie, rejoignant à plus de cinquante ans de distance l’une des préoccupations de Janáček. Lorsque Milan Kundera s’exila en France, il tint parfois la rubrique discographique dans Le Monde de la musique et ne manqua que rarement d’attirer l’attention sur le compositeur de Brno. Dans Les Testaments trahis (1993), sa plume d’écrivain doublée d’une sensibilité musicale écrivit des pages capitales sur un certain nombre d’œuvres de Janáček et sur la trajectoire du maître de Brno.
Revenons au père de l’écrivain. Janáček disparu, Ludvík Kundera continua néanmoins à jouer un rôle non négligeable dans la connaissance de la musique du compositeur de Jenůfa et dans son œuvre pédagogique. Après la seconde guerre mondiale, il participa à la création de l’Académie de musique Leoš Janáček à Brno dont il assura la direction jusqu’en 1961. Son livre édité en 1948 sur L’Ecole d’orgue fondée par le compositeur en 1881 et qu’il dirigea jusqu’à 1920 expliquait en quoi les talents particuliers de pédagogue de Janáček façonnèrent plus ou moins toute une génération de musiciens moraves. Il rédigea un autre livre traçant l’aventure artistique que Janáček anima avec un certain nombre de ses concitoyens musiciens, écrivains, peintres, architectes, au sein du Club des amis de l’art, basé à Brno. Par ailleurs, il décrivit les structures musicales des pièces pianistiques de Janáček : « dans la moindre petite composition, il y a à côté de la mélodie principale, - laquelle exprime en règle générale, un élément clair, positif, - souvent une petite figure rythmiquement fortement taillé, exposée en obstinato, qui est un contraste brutal avec le motif principal et elle représente quelque chose d’inquiétant, émouvant, souvent d’ombrageux et négatif. (8) » Ses talents de pianiste doublés par l’expérience acquise au contact du compositeur autorisèrent L. Kundera à publier les éditions critiques des pièces pour piano de Janáček, toujours au catalogue des éditions Bärenreiter (Sur un sentier recouvert, Sonate 1.X.1905, Dans les brumes).
Tout autant précieux pour nous, mélomanes et discophiles, une autre activité de Ludvík Kundera. Il enregistra le premier (9) les deux œuvres concertantes de Janáček. Vingt ans après la disparition du compositeur, deux fidèles unirent leurs talents pour honorer leur aîné. Břetislav Bakala, un de ses élèves, dirigea des instrumentistes issus de l’orchestre de la radio de Brno tandis que Ludvík Kundera tenait le clavier. En 1948, le Concertino fut gravé par ces deux musiciens pour la firme Ultraphon. L’année suivante, ils se retrouvèrent pour enregistrer le Capriccio que le label Eterna diffusa avant que Supraphon ne s’en empare ainsi que de la première œuvre. Il ne semble pas que ces enregistrements aient été distribués en France. La revue française Disques, la seule existante à l’époque dans le domaine musical et plus spécialement basée sur la discographie, n’en souffla mot. Par contre, aucun disque ne fut gravé par Ludvík Kundera comportant des ouvrages pour piano solo (Sur un sentier recouvert, Sonate 1905, Dans les brumes). Mais peut-être existe-t-il quelque part dans les archives des radios tchèques un ou plusieurs témoignages de cet interprète ?
Ludvík Kundera, comme ses compatriotes Rudolf Firkušný, Josef Páleniček, et un peu plus tard Radoslav Kvapil, planta une balise, jalon du lent cheminement des opus janáčekiens dans le cœur des mélomanes français. Si on ne perçut pas l’importance de ces enregistrements dans les années 50 pour cause de difficulté de distribution, voire de distribution inexistante, maintenant que le génie de Janáček est reconnu à sa juste valeur, on peut, de notre fenêtre actuelle du XXI° siècle, goûter tout le miel des interprétations de ce pianiste. Et regretter que les conditions politiques de son pays au cours des vingt dernières années de la vie de Kundera ne lui aient pas permis de donner des concerts ailleurs que dans les zones géographiques très délimitées par le pouvoir politique aux pays sous influence de l’URSS. Si Ludvík Kundera, à l’instar du Quatuor Janáček, par exemple, avait pu effectuer des tournées en France, l’étoile du compositeur morave aurait certainement brillé plus vite dans notre pays.
Qu’un commanditaire ait occasionné la composition du Capriccio ou que le Concertino n’ait dépendu que de la seule volonté du compositeur, ces deux œuvres concertantes écrites dans ses dernières années de vie confortent l’originalité de sa musique et sa place unique dans les courants musicaux du premier tiers du XXe siècle.
Joseph Colomb - janvier 2022
Sources :
John Tyrrell, Janáček, Years of a life, tsar of the forests, volume II (1914 - 1928) - Faber and Faber - 2007
Daniela Langer, Leoš Janáček, Ecrits, Fayard, 2009
Notes :
1. En fait, Janáček déposa ici 12 portées, correspondant à trois motifs pour chacun des 4 mouvements.
2. Allusion à Julius Korngold, critique musical autrichien à qui la production viennoise de 1918 de Jenůfa déplut.
3. En italique, extraits du feuilleton (XV/213) daté du 25/3/1927. Traduction de Daniela Langer. Voir son livre Leoš Janáček, Ecrits, Fayard, 2009.
4. Ilona Štěpánová-Kurzová était la fille de Vilém et Růžena Kurz, deux réputés professeurs de piano. Elle se maria avec le pianiste et compositeur Václav Štěpán.
5. Lettre à Kamila Stösslova du 1er juillet 1927 envoyée de Francfort par Janáček. Il s’agit de l’exécution du Concertino à l’occasion du festival de la Société Internationale de Musique Contemporaine. Traduction de Daniela Langer, extrait de son livre cité plus haut.
6. Otakar Hollmann enregistra en mai 1956 le Capriccio avec des musiciens de la Philharmonie tchèque dirigés par Jarmil Burghauser (un disque Supraphon).
7. Dans une lettre à Kamila Stösslova du 18 février 1928, Janáček pare lui-même son Capriccio d’un nouveau titre : Défiance.
8. Ludvík Kundera, la composition pianistique de Janáček, 1956, traduction de Martin Petráš, in L’attraction et la nécessité, sous la direction de Xavier Galmiche et Lenka Stránská, Editio Bärenreiter, 2004
9. En 1948, Rudolf Firkušný dans son exil américain enregistra le Concertino pour une firme locale avant de l’enregistrer de nouveau en 1954. Il partagea ainsi avec Ludvík Kundera le privilège de la primauté sur tous les autres pianistes.
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