Janáček à Saint-Victor-sur-Loire
La sonate sur le rocher (1)
Vendredi 26 août 2022. Depuis la veille, les musiciens de Bwd12 ont retrouvé leur public après l’intermède du Covid. L’auditorium du château de Saint-Victor-sur-Loire dès le premier concert (la veille) était rempli et ceux qui n’avaient pas leur billet en poche durent rebrousser chemin, plus une place libre. Ce soir du 26, un peu moins d’une heure avant le concert, des mélomanes attendaient sagement l’ouverture des portes. A 20 heures, restait-il une place sur la gauche de l’enceinte ? Peut-être deux ou trois, mais à coup sûr, pas plus. Partout ailleurs, les auditeurs emplissaient les gradins. Toute la première partie était consacrée à Janáček sauf l’introduction réservée à Richard Strauss et à Antoine Dreyfus, le corniste habitué du festival, pour un Adagio pour son instrument accompagné par le piano d’Olivier Peyrebrune. Ensuite Sébastien Vichard au piano et Samuel Etienne nous contaient Pohádka, introduction à la « soirée » Janáček.
Le château de Saint-Victor-sur-Loire sur son rocher |
Le moment magique arrivait. Au violon, Nicolas Dautricourt et Fermin Ciriaco, à l’alto Flore-Anne Brosseau et au violoncelle Samuel Etienne pénétraient dans l’arène. Après une brève présentation de l’œuvre par l’altiste, se succédèrent les quatre mouvements du premier quatuor de Janáček. Je guettais les réactions de mes voisins. Une écoute attentive. C’est tout juste si les grincements du deuxième violon et de l’alto les étonnèrent dans le troisième mouvement. Au lieu de la virtuosité habituelle qui clôt le dernier mouvement des quatuors et d’autres ouvrages, une musique calme faisait suite à une cavalcade effrénée et tragique des quatre musiciens. La fin de ce drame atroce s’achevait dans la douceur. Il n’y avait plus rien à dire, plus rien à espérer. La pauvre pianiste de la nouvelle de Tolstoï était tombée sous le coup de couteau de son infâme mari. Dans l’assistance, un peu de surprise que ce quatuor se termine ainsi. Mais les applaudissements nourris crépitèrent. Deux salutations par les interprètes et leur départ de la scène. L’approbation ne cessa pas immédiatement. Janáček avait gagné les cœurs des auditeurs.
La Sonate à Kreutzer, tableau de René François Xavier Prinet (1901) |
A l'entr’acte, plusieurs d’entre eux m’accostèrent et échangèrent leurs impressions avec moi. Tous ceux qui m’adressèrent la parole étaient ravis de leur écoute. Il est vrai que les quatre musiciens délivrèrent une lecture sensible de ce quatuor avec beaucoup d’engagement. Un vrai bonheur pour l’auditeur que j’étais. Cette interprétation confirmait qu’il n’est nul besoin d’être un interprète adulé sur toutes les scènes du monde pour obtenir une lecture authentique de l’œuvre en question. De même que maintenant, il n’est nul besoin de parler la langue tchèque pour comprendre le langage musical de Janáček. Déjà depuis une bonne vingtaine d'années, les ensembles à cordes français de plus en plus nombreux n'hésitent plus à fréquenter l'un des deux quatuors du compositeur morave. Les instrumentistes à cordes du festival de Saint-Victor rejoignent ce mouvement vers d'autres horizons musicaux pour le plus grand plaisir des auditeurs.
S’ils ne sont pas tous les quatre des interprètes internationaux comme Nicolas Dautricourt, les trois autres, par leur place dans des orchestres renommés ou par leur statut de professeur (2), démontrent la qualité de leurs gestes, de leurs réflexions et de leur musicalité aussi bien dans les passages heurtés que dans les épisodes lyriques.
Ni interprétation routinière, ni expressionnisme échevelé, ni classicisme trop sage. Les quatre musiciens ont su conduire leur défrichage par leur engagement, mais peut-être encore plus par leur sensibilité n’excluant pas de la passion. Qu’ils en soient remerciés.
Dans sa différence avec d'autres versions, cette interprétation se place à côté des enregistrements des Janáček, des Vlach, des Pražák et des Talich les ensembles tchèques « historiques » pour les deux derniers et même pour les Pražák et les Talich (3) qui ont suivi. Il y a des places bien pires. Pour une première, les quatre musiciens présents à Saint-Victor n’eurent pas à rougir de leur prestation. Seuls, semble-t-il, Flore-Anne et Samuel Etienne avaient déjà joué ce quatuor. Les deux violonistes surent s’accorder avec leurs compagnons. Il est vrai que depuis plusieurs années au cours de ce festival, ils ont l’habitude de jouer ensemble dans des répertoires très variés. Et leur entente saute aux oreilles et s’impose à notre perception autant intellectuelle qu’émotionnelle.
En plus des pièces essentielles de musique de chambre, tel le Quintette op 34 de Brahms pour cordes et piano exécuté dans la première soirée du festival, je ne doute pas un instant que le deuxième quatuor Lettres intimes de Janáček résonnera une année ou une autre dans l’auditorium de Saint-Victor. Comme le premier, il a largement sa place dans le répertoire précieux des plus beaux quatuors français et étrangers de la première moitié du XXe siècle, comme ceux de Bartók, Britten, Martinů, Schönberg, Sibelius, ou encore de Tippett et Zemlinsky, sans parler de ceux de nos concitoyens Fauré, Ravel et Debussy ou beaucoup plus tardifs dans ce siècle comme Dutilleux.
Joseph Colomb - 27 août 2022
Notes :
1. Pour paraphraser le lied de Schubert Le pâtre sur le rocher …
2. Flore-Anne Brosseau est altiste à l'Orchestre de Paris, tandis que Fermin Ciriaco occupe un poste de violoniste à l'Orchestre Philharmonique de Radio-France alors que Samuel Etienne joue dans l'Orchestre Les Dissonances (David Grimal) et enseigne le violoncelle au Conservatoire Francis Poulenc à Paris.
3. Les Janáček enregistrés en 1963, report sur CD en 2000
Les Vlach enregistrés en 1969, report sur CD en 1990
Les Talich enregistrés en 1985 sur CD
Les Pražák enregistrés sur CD en 1990 et en 1997
Un autre ensemble tchèque, les Smetana ont enregistré ce quatuor Sonate à Kreutzer à plusieurs reprises à partir 1955. Celui de 1965 a été reporté sur CD en 1996.
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