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11 septembre 2022

Dvořák et Suk par le trio Atanassov

Dvořák et Suk par le trio Atanassov

Nous sommes heureux de recevoir l'annonce du prochain CD du trio Atanassov, consacré à Antonín Dvořák et à Josef Suk. Cet ensemble formé en 2007 réunit Gilles Perceval, au violon, la violoncelliste Sarah Sultan et Pierre-Kaloyann Atanassov au piano. Ceux qui suivent la presse spécialisée savent déjà combien sont appréciées ses « interprétations faites d'un alliage subtil d'émotion et de lisibilité » qui ont valu aux musiciens une juste reconnaissance nationale et par-delà les frontières (voir www.trioatanassov.com). Des qualités qu'il est indispensable de cultiver pour donner leur pleine mesure aux pages de Dvořák, qui ne doivent ni « sentir le casino », ni perdre leur âme dans la rigueur métronomique. L'amour sincère de ces trois interprètes pour le compositeur d'Europe centrale, qu'ils placent comme il se doit dans l'héritage des maîtres du passé — Mozart, Beethoven, Schubert — tout en soulignant son caractère unique est très réjouissant.

« Dvořák arrive à faire pleurer à faire sourire de manière très rapprochée, parfois même en même temps », déclare Gilles Perceval, qui voit ici une marque de génie. Bravo ! La condescendance française si longtemps de mise à l'égard de Dvořák est-elle est train de disparaître ? Peut-être… On se dira qu'il serait sans doute temps, en 2022. Mais si de jeunes et talentueux musiciens parlent de la sorte, tout n'est peut-être pas perdu, après tout.

Le CD, sous le label Paraty - PIAS Distribution, sortira le 14 octobre 2022. On y entendra, de Dvořák, les trios n° 2 op. 26 B. 56 en sol mineur (1876) et n° 4 op. 90 B. 166 « Dumky » (1891). La courte Élégie op. 23 (1902) de l'élève et gendre de Dvořák, Josef Suk, complète opportunément le programme. Suk, rappelons-le, était considéré par son professeur comme un génie. On se convaincra avec cette courte pièce de la qualité d'écriture d'un jeune homme encore indemne des drames qui allaient inspirer la symphonie Asraël.

Un mot sur l'opus 26 : quand Dvořák inscrit « Trio No. II » sur la partition de l'œuvre qu'il compose en l'espace de 17 jours, en janvier 1876, il efface volontairement le souvenir de deux autres pages pour cet effectif, qu'il avait jugées indignes de son talent. Il s'agit donc ici de son quatrième essai dans ce genre musical. Resté dans l'ombre de ses deux successeurs — le trop méconnu opus 65 (B. 130) de 1883 et le célébrissime Dumky achevé 8 années plus tard — le trio op. 26 se révèle pourtant une pièce de maturité, d'approche classique et foncièrement personnelle. Il surprend par l'économie de son matériel thématique. Oui, ces thèmes par ailleurs si abondants chez lui sont ici volontairement restreints, n'en déplaisent à ceux qui louent le mélodiste pour mieux déplorer son incapacité à bâtir. Œuvre frappée par l'affliction, proche par endroits de la pensée de Schumann (écoutez l'incipit du Scherzo) en ce qu'elle provoque de pensées mélancoliques, elle est contemporaine du 8e quatuor à cordes en mi majeur et du Stabat Mater. Il est tentant d'entendre ici la marque d'un deuil, celui de la petite Josefa, disparue six mois plus tôt. En dépit de cela, le compositeur surmonte l'épreuve pour achever sa pièce avec un chant de joie dans la tonalité lumineuse de sol majeur.

Le trio Atanassov nous signale enfin sa présentation, le 18 septembre à l'Orangerie de Bagatelle, 11 heures du matin, d'un spectacle musical intitulé « Dvořák, un enfant de Bohême ». Le dossier de presse annonce : « Tantôt interprètes, tantôt comédiens, les trois musiciens du trio racontent sur scène l’histoire vraie d’un petit gars parti de rien, qui, grâce à son génie et à son travail acharné, a réussi à conquérir l’Amérique, et à devenir un des compositeurs dont les mélodies font partie des plus célèbres au monde. » Détails à l'adresse lapochettemusicale.com.

N'ayant pas vu ce spectacle, je ne saurais dire s'il exploite le matériel mis à disposition depuis plusieurs années sur MusicaBohemica, comme l'avait fait Jérôme Pernoo en 2018. Nous en serions naturellement enchantés, le partage étant au cœur de notre philosophie, dès lors que la reconnaissance du travail est explicite comme indiqué au bas de notre page Contact.

Il serait également intéressant de voir dans quels développements nous mène cette « découverte à la fois drôle, émouvante et instructive de ce compositeur de génie resté un grand enfant » et dans quelle mesure ils recoupent, ou contredisent, les lignes que j'écrivais dans mon dernier livre, précisément au sujet de cette image en partie vraie mais à considérer avec prudence d'un « grand enfant ». Rien que pour cela, le lecteur l'a compris, il faut saluer cette initiative et se rendre à l'Orangerie de Bagatelle, en attendant de savourer le CD.

Alain Chotil-Fani, septembre 2022

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