Histoire de l’Opéra français XXe-XXIe siècle
De la Belle époque au monde globalisé
Pour qui s’intéresse à l’opéra, la documentation s’avère abondante. Des Mille et un opéras de Piotr Kaminski au Dictionnaire amoureux de l’opéra d’Alain Duault en passant à l’Opéra pour les nuls ou encore le Kobbé (Tout l’opéra, de Monteverdi à nos jours) et les nombreuses biographies de compositeurs dont l’opéra se trouvait au centre de leurs créations (Wagner, Puccini, Donizetti, Rossini, Massenet, Bizet, etc) on peut trouver matière à se cultiver. Cependant une histoire de l'Opéra français la plus complète possible restait à rédiger.
Depuis quelques années, un musicologue, Hervé Lacombe, a engagé un énorme chantier regroupant autour de lui quantité d’érudits pour dresser un panorama de l’opéra en France. Trois gros volumes s’avérèrent nécessaires pour héberger les nombreuses études de tous ces collaborateurs et collaboratrices. En 2021 parurent les deux premiers volumes s’étageant du XVIe siècle jusqu’à 1789 pour le premier sorti (en mai 2021), le second (en octobre 2021) examinant le XIXe siècle et le dernier tout juste sorti des presses fin avril de cette année analysant les différentes phases de l’évolution de l’opéra depuis la Belle Epoque jusqu’à nos jours. Un total de 4 000 pages éditées par Fayard ! Soit une mine énorme de connaissances et de décryptages pertinents de ce genre musical.
dirigé par Hervé Lacombe, le troisième volume de cette Histoire de l'Opéra français (Fayard) |
Pour nous en tenir à ce dernier volume, notons tout d’abord la répartition en trois parties dont les deux premières examinent deux périodes historiques par ordre chronologique avec la frontière de 1945 qui les sépare. Quant à la troisième partie, elle scrute le spectacle lyrique sous toutes ses formes. Chacune de ces parties est divisée en plusieurs chapitres permettant à chaque contributeur d’exercer une belle sagacité sur l’objet de leur étude. Enfin, des annexes copieuses en fin de volume apportent un confort profitable au lecteur dans ses recherches (index des noms et des œuvres) alors que de nombreuses notes apportent une bibliographie conséquente à la fin de chacun des vingt-et-un chapitres.
Ce livre n’est pas construit comme un dictionnaire sur lequel chaque opéra serait disséqué dans le détail. On n’y rencontre systématiquement ni le synopsis, ni les conditions de la composition, pas plus que l’ensemble des personnages de son action. Mais il s’inscrit dans l’histoire de ce genre musical, avec ses traditions, secouées périodiquement par des compositeurs qui, soit bravent ses formes ou ses canons expressifs, soit se lancent dans l’exercice de la table rase. Et c’est ce qui en fait son intérêt.
Tout honnête mélomane qui entreprend son parcours musical opératique peut, grâce aux trois volumes qu’Hervé Lacombe a suscités et organisés, depuis peu entrevoir tous les fils qui relient les nombreuses pièces lyriques, y compris celles qui occupent une place particulière, un peu ou beaucoup hors des sentiers battus. En dehors de la beauté musicale ressentie lors d’une représentation, l’auditeur a maintenant la possibilité de situer un opéra dans les longs cheminements balisés ou non qui parcourent les siècles passés jusqu’à nos jours. Un aperçu en est donné, par exemple, par le sous-chapitre qui évoque la scène lyrique parisienne au temps de l’Occupation allemande. Huit pages, même composées en corps de faible taille, ne peuvent pas rendre compte de la complexité de la situation opératique dans toutes ses nuances. N’empêche, pour les mélomanes qui ne profitent pas des études de Myriam Chimènes et de Yannick Simon sur cette époque, cette Histoire de l’Opéra français apporte une synthèse de cette période d’où ne sont pas oubliés les comportements de certains musiciens qui répondent plus ou moins volontairement aux insistances de l’occupant (groupe Collaboration) tandis que d’autres regroupés dans le Front national de la musique s’engagent fermement dans la défense de la musique française. Par ailleurs, décideurs artistiques et interprètes continuent de manière presque complète les pratiques de la période antérieure. La Révolution nationale ne s’incarne assez peu dans les maisons d’opéra où l’on se contente de reprendre les œuvres à succès de la période précédente sans produire de créations réelles.
Cette Histoire de l’Opéra se penche aussi sur la trajectoire des pièces lyriques, leur maintien, leur apparition ou leur effacement dans différentes villes françaises dans lesquelles existe une maison d’opéra. Ainsi, de Lyon à Strasbourg, de Toulouse à Nantes, on comprend l’évolution de l’art lyrique en province, les freins qui s’exercent sur ce genre musical, les contraintes, le resserrement du répertoire ou au contraire son élargissement, voire une spécialisation temporaire. Sous les regards de Michelle Bourhis, Mô Frumholz, Violette Viannay, Aude Ameille et de plusieurs autres contributeurs, un tour de France des maisons d’opéras est effectué révélant le dynamisme des unes ou le traditionalisme des autres, routine qui se maintient ici ou là, dans une période plus ou plus longue, et l’évolution ou le modernisme qui s’installe avec plus ou moins de difficultés dans telle ou telle maison d’opéra provinciale. Alors que je n’ai pas eu le temps de lire l’ensemble du livre, (1 500 pages ne peuvent pas s’avaler en deux ou trois jours, sauf en s’affranchissant de toute autre activité) ce que je viens d’écrire sur ce chapitre, je pourrais le renouveler sur beaucoup d’autres que j’ai pu feuilleter avec grand plaisir et intérêt avant que je me plonge dans l’ensemble des chapitres.
Pourquoi, sur ce site dédié à la musique tchèque, signaler la parution de ce fort volume ? D’abord parce que rien ne nous indiffère de la musique d’autre nations, et ensuite parce que notre plume parait dans cette Histoire de l’Opéra pour traiter justement de la place de l’opéra tchèque dans notre pays. Sous ma signature - en fait, cette contribution a été réalisée en toute coopération par Alain Chotil-Fani, Eric Baude et moi -même - s’inscrivent aux pages 946 à 950 nos recherches, réflexions et conclusions que nous avons eu le plaisir de mener, puisant leur substance dans les nombreux articles que nous avons déposés depuis plus d’un quart de siècle sur le site Musicabohemica. Parmi la centaine de contributeurs, la plupart musicologues, professeurs et maîtres de conférences d’université, docteurs en musicologie, agrégés de musique, Alain Chotil-Fani et moi, nous sommes presque les seuls à ne brandir que notre titre de musicographe et avant tout de mélomane. Cependant c’est bien à nous trois qu’Hervé Lacombe s’est adressé pour nous demander de bien vouloir rédiger dans un style lapidaire et avec un nombre très restreint de caractères un texte montrant comment l’opéra tchèque s’était introduit en France, dans quelles conditions, avec quelles audiences et quelles conséquences. D’un certain côté, le responsable de ce volume nous adoubait, en quelque sorte, nous confiant la mission de nous exprimer sur l’opéra tchèque en France, aux côtés de tant de plumes certifiées sur d’autres problématiques.
Lecteurs de ce site, allez dans votre librairie préférée et achetez ou commandez ce gros livre. 39 € pour 1500 pages, vous ne le regretterez pas. Nous savons bien que la qualité d’un écrit ne se mesure pas au nombre de ses pages. Cependant, cet ouvrage est gorgé d’informations, de tableaux, d’analyses pointues et, ce qui ne gâche rien, sa lecture se révèle aussi agréable que celle d’un roman. Ce volume ne peut pas stationner sur un rayon de votre bibliothèque, mais plutôt être prêt à l’emploi, à portée de vos yeux. Remercions Hervé Lacombe, chef d’orchestre de cette équipe de musicologues, d’avoir mené le chantier à son terme, d’avoir hiérarchisé les contributions de ces spécialistes et remercions aussi toutes ces plumes d’avoir si bien exploré ce vaste monde de la musique opératique en France.
Joseph Colomb - mai 2022
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