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30 avril 2022

1931 - Janacek dans un magazine de radio

1931 - Janacek dans un magazine de radio

Encore une  occasion manquée…


Le 22 mai 1931, dans l’hebdomadaire Radio-Magazine, Janacek avait droit à un article dans la rubrique « Commentaires et critiques » à propos du passage sur les ondes britanniques (Londres régional) de Mládí (Jeunesse) son sextuor pour instruments à vents. Quatre ans plus tôt lors de son rapide séjour à Londres, Janáček avait introduit Mládí dans un concert anthologique de ses œuvres.  Si, à cause de la grève générale qui s’était déclarée au début du mois de mai 1926, le compositeur morave avait joué de malchance, malgré tout, sa musique avait marqué quelques compositeurs et interprètes anglais qui, quelques années plus tard, avaient tenté une nouvelle expérience en rejouant quelques uns de ses ouvrages.


Première page de Radio-Magazine en date du  17 mai 1931

Curieusement, il fallait qu’on traverse la Manche pour tendre l’oreille à la radio londonienne pour écouter une de ses compositions. Il est vrai que, pas plus les stations radiophoniques que les organisateurs de concerts hexagonaux ne s’étaient  empressés d’inscrire des ouvrages de ce compositeur tchèque à leurs programmes. On ne connaissait guère Janáček. Pourtant, l’année précédente, avait paru un volume dû à la plume de Daniel Muller qui présentait ce compositeur, volume fort bien illustré qui plus est. Volume dans lequel le journaliste puisa un certain nombre d’informations qu’il parsemait dans sa chronique.


Raisons suffisantes pour qu’un journaliste se saisisse de ces opportunités pour éclairer les lecteurs de son magazine et les auditeurs des radios françaises sur ce musicien. Celui qui signait son écrit par ses initiales, P. L. (1) signalait d’abord que Janáček appartenait à « ceux que leur art imprévu et, par conséquent, difficile tient éloigné du grand public » expliquant ainsi que ce compositeur restait ignoré des auditeurs radiophoniques. « Il mérite pourtant d’être étudié, non seulement parce qu’il est un génie bien singulier de la musique, mais encore pour son caractère, âpre et hérissé, sans doute, mais noble et profondément empreint d’idéal.»


Ne citant en tout et pour tout que Jenůfa, signe d’une fréquentation plus que basique du corpus janáčekien, le journaliste s’élevait contre nombre des contemporains du compositeur et leur ignorance de sa musique et qui s’ingéniaient cependant à  le considérer comme un musicien de seconde zone voire incompétent, en citant les études musicales à Brno qu’avait suivies Janacek, ainsi que celles de Prague et d’Allemagne, omettant de signaler celles de Vienne. Par contre, lorsque il affirmait que Janáček consentit à laisser jouer sa Jenůfa en 1916, il ignorait manifestement toutes les difficultés que le compositeur rencontra pendant douze ans après justement la création morave à Brno de sa Jenůfa pour qu’enfin l’Opéra de Prague se décide à le monter.


Plein de bonne volonté et pourtant démuni  de l’essentiel des éléments qui l’auraient autorisé à une description suffisante de l’objet de son étude, Pierre Laclau s’engageait quand même à annoncer que « lorsque [son œuvre] sera plus répandue, donc mieux connue, elle sera révérée à l’égale de celle de bien des maîtres que l’usage des concerts nous impose ».   Cette prophétie ne se réalisa en France que bien des années  après qu’elle ait été lancée, un bon demi-siècle ! Par contre, avancer que le compositeur « pense et écrit naturellement dans les modes du Moyen Age » sous prétexte que « sa première éducation musicale a été faite au couvent de Brno » tombe dans une méconnaissance certaine de la lente et patiente formation de son langage musical et pourtant menée résolument, malgré des moments de doutes. Pierre Laclau ne pouvait pas concevoir correctement, bien malgré lui, les grandes périodes du cheminement de Janáček pour forger sa propre expression musicale puisque, en particulier, sa musique opératique restait ignorée au début des années 1930 à Paris et dans le pays et que, d’autre part, malgré l’existence du livre de Daniel Muller, le cours de la vie du compositeur demeurait obscur pour le plus grand nombre des mélomanes.


Ce qui explique le flou dans lequel son article se maintenait. Néanmoins, le chroniqueur essayait d’attirer l’attention de ses lecteurs sur ce compositeur, malgré ces manques dont il ne portait pas la responsabilité tant les sources restaient inexplorées et la majorité de ses ouvrages inconnus en France. On peut se demander si cette présentation largement incomplète avait pu faire émigrer temporairement l’écoute d’un certain nombre d’auditeurs vers les ondes anglaises… D’autant plus que, s’il prenait Mládí  pour prétexte de son embryon d’étude, il ne dévoilait rien du langage personnel de Janacek appliqué aux instruments à vents dans ce sextuor.


Toujours dans Radio-Magazine, mais quelques semaines auparavant, il rédigea un commentaire à propos du Quatuor Sonate à Kreutzer. Pratiquant déjà des approximations, il qualifiait Janáček d’un « des promoteurs du Sprechgesang » ! D’autre part, il reprenait une anecdote (d’où venait-elle ?) dans laquelle le compositeur déchira la partition de son second opéra Début d’un roman (Počátek románu) parce qu’il se rattachait trop visiblement au folklore. » Evidemment cet opéra ne servit pas la réputation du compositeur, tant il relevait d’un essai découlant de ses études pourtant sérieuses de la musique populaire morave. Si vraiment la partition avait été déchirée, comment aurait-on pu produire cet opéra à Brno en 1954 et 1958 et comment aurait-on pu éditer cette partition en 1978 ? Quand on ne peut pas se référer aux sources détenues principalement à Brno, on s’expose à quelques annonces problématiques. Quant au Quatuor, pourquoi se caler sur la fréquence de la station de Prague qui le diffusait si l'auditeur ne savait rien qui pouvait l'allécher à venir découvrir cette partition ? 


Cependant, quelle étrange rencontre entre ce chroniqueur, Pierre Laclau, qui écrivait aussi dans Je suis partout, (devenu rapidement journal antisémite et réactionnaire) et un compositeur en dehors de tout académisme, metteur en scène de personnes plutôt en marge, la plupart incompris de leurs contemporains voire même persécutés (les chœurs Kantor Halfar et Maryčka Magdónova sont des exemples frappants). Pour le dire plus clairement, Pierre Laclau n’était ni le mieux placé, ni le mieux armé pour tenter d’expliquer la place tenue par Janáček dans la musique de son temps, non seulement dans son pays, la Tchécoslovaquie, mais aussi en Europe. 


Joseph Colomb - avril 2022


Notes :


1. Pierre Laclau, musicographe, tint une rubrique régulière dans Radio-Magazine pendant plusieurs mois citant des ouvrages de Beethoven, Gustave Charpentier, Berlioz, Victor Massé, Debussy, Aymé Kunc, Bach, Gustave Doret, Louis Aubert, Wagner, Janáček, Schubert, Ravel et d’Indy dans les deux premiers mois de 1931. Si on peut regretter des imprécisions dans ses articles, il faut relever l’amplitude de cette liste de compositeurs qui comprend des musiciens incontournables, mais aussi des musiciens contemporains de cette époque dont le nom, aujourd’hui, n’évoque pas obligatoirement des œuvres connues (Aymé Kunc, Gustave Doret, Louis Aubert entre autres).


2. Ces caractères, Pierre Laclau n’eut aucune peine à les trouver dans le livre de Daniel Muller, lequel insistait à plusieurs reprises sur les traits saillants qu’il distinguait, à tort ou à raison, chez Janáček.


3. Radio-Magazine du 8 mars 1931.


4. Ce Quatuor fut diffusé par Radio-Prague ce dimanche 8 mars 1930. A Nantes, le 9 février 1930, le Quatuor Slovensko en donna la première audition française (suivant les résultats récents de mes propres recherches).

 


 

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