Les voyages de Janáček et la reconnaissance internationale
1. Ignorance internationale de Janáček
1. Ignorance internationale de Janáček (le présent article)
3. Rosa Newmarch, premiers contacts avec la musique de Janáček
4. Rosa Newmark, premières rencontres avec Janáček (1922)
5. Nouveaux contacts Rosa Newmarch - Leoš Janáček (1923 - 1925)
6. Préparatifs du séjour londonien de Janáček
7. Le séjour londonien de Janáček, mai 1926
8. Retombées du séjour londonien (à venir)
9. Réflexions de Janáček sur deux concerts en 1926
Janáček, compositeur vivant dans un petit pays dont il ne sortait quasiment jamais, telle est l’image dont encore aujourd’hui on entoure ce créateur. Image vraie et fausse. Vraie parce que l’homme, le musicien a vécu toute sa vie dans sa province, la Moravie, et plus précisément dans trois lieux la ville de Brno, le village d’Hukvaldy, la station thermale de Luhačovice. Une province qu’il a visitée de nombreuses fois pour collecter quantité de chants et danses populaires auprès d’habitants de villages. Faux dans le sens où, sans avoir été un voyageur impénitent, il a, à diverses périodes de sa vie, malgré tout franchi les frontières de son pays. En fait, la plupart du temps pour des raisons personnelles et non pas professionnelles ou artistiques.
De son premier voyage en Allemagne et plus précisément en Bavière dans la petite ville d’Oettingen en 1878, il visita les ateliers d’un facteur d’orgue qui venait de livrer un orgue tout neuf à l’église du monastère des Augustins à Brno. S’octroyant quelques jours de tourisme, il rallia Munich et Berlin. Ses séjours à Leipzig et à Vienne en 1879 et 1880, il les effectua au conservatoire de musique de chacune de ces villes pour parfaire sa formation de compositeur. A cette époque, le jeune musicien de 26 ans n’avait produit qu’une dizaine d’œuvres chorales et orchestrales dont ne se détachait aucun chef-d’œuvre. S’il séjourna en 1884 à Gleichenberg en Autriche, c’était pour des raisons médicales. Il soigna des inflammations des bronches dans cette ville d’eaux. Quand il visita Saint-Petersbourg en 1896, son penchant pour la culture slave lui avait suggéré ce voyage. Lorsqu’il y revint en 1902, il accompagna sa fille Olga qui logea chez son oncle František pour affermir sa maîtrise de la langue russe. Hélas, elle tomba malade très vite et ses parents retournèrent dans la ville du bord de la Néva pour la ramener en Moravie.
En 1904, Janáček se rendit à Varsovie où il avait posé sa candidature à la tête du conservatoire de musique local alors que le succès de Jenůfa n’avait pas dépassé sa ville de Brno. Hélas, une seconde fois, un événement étranger mit fin à cette tentative, la déclaration de guerre entre la Russie et le Japon. Quelques années plus tard, en juillet 1911, Janáček, avec Zdenka, son épouse, s’octroya trois semaines de vacances en Croatie (Crikvenica). En dehors d’un ou deux chants populaires croates collectés par le compositeur, le séjour fut centré essentiellement sur le tourisme avec, entre autres, un passage à Bled et son lac.
Les séjours à l’étranger commandés par la musique ne survinrent qu’en 1923 lorsque le compositeur âgé de 69 ans représenta à Salzbourg la musique moderne tchèque au festival de la Société internationale de musique moderne. Il y rencontra plusieurs compositeurs européens - dont quelques français - venant d’horizons musicaux différents. Il commençait tout juste à obtenir un début de reconnaissance dans le milieu musical européen. La création berlinoise de Jenůfa par Erich Kleiber en 1924 donna le signal de représentations nombreuses de cet opéra dans une bonne vingtaine de maisons d’opéra allemandes dans les années suivantes. Le compositeur sortait réellement de l’anonymat en Europe. Sélectionné pour représenter la musique contemporaine tchèque au festival de Venise en 1925, il s’y rendit avec Zdenka. Deux ans plus tard, la ville allemande de Francfort accueillit un nouveau festival de la Société internationale de musique moderne et pour la troisième fois, Janáček incarna la musique de son pays. Si ses opéras, notamment Jenůfa, jouissaient du succès, particulièrement en Allemagne, par contre, sa musique pour piano, ses pièces de musique de chambre, sa musique symphonique n’avaient quasiment pas voyagé en Europe. Seuls ou presque, quelques chœurs d’abord portés par la Chorale des Instituteurs moraves, la Chorale Smetana et d’autres ensembles tchèques avaient commencé à faire connaître son nom en Allemagne, en France, en Autriche et dans d’autres pays d’Europe centrale.
montage d'après une photo de Gérard Raud buste de Janáček à Brno |
Pendant longtemps, Janáček ne fut connu et apprécié qu’à Brno, surtout à partir de 1904, création de Jenůfa, alors qu’il fêtait son cinquantième anniversaire. En Moravie, ses activités de collectes de musique populaire et les études qui en découlaient (par exemple l'importante préface au recueil de Bartoš de 1901) avaient tendance à occulter les créations musicales du compositeur. Dans le reste des pays tchèques, jusqu’à la création pragoise de Jenůfa, il fut très peu joué d’où une grande méconnaissance de la part des musiciens et des mélomanes tchèques. Pourtant, le compositeur de Brno s’employa à se faire connaître par la parution d’articles dans les revues musicales (Dalibor, par exemple) et même dans la presse quotidienne (Lidové noviny). Si un compositeur est peu joué dans son pays, comment à l’étranger des interprètes pourraient-ils s’emparer de quelques-unes de ses œuvres ? Cercle vicieux qui dura de longues années.
Cependant, pour Janáček, une musicographe britannique entra sur la scène musicale. Elle s’appelait Rosa Newmarch. Bien connue dans son pays, elle avait été à l’origine de l’introduction en Grande Bretagne des musiques de compositeurs russes, notamment Tchaïkovsky et Moussorgski et celle du finlandais Jean Sibelius. Pour Janáček, son tour n’allait pas tarder. De prochains articles détailleront les efforts et les contributions de cette musicographe. Janáček s’orienterait-il sur les traces de son aîné et ami Antonín Dvořák (1) qui visita la Grande Bretagne ou tout au moins plusieurs villes (Londres, Birmingham, Leeds, Cambridge) un certain nombre de fois où il dirigea quelques-unes de ses œuvres (Stabat Mater, Ouverture hussite, Symphonie n° 6 et Symphonie n° 8, Concerto pour piano en sol mineur, Les Chemises de noces, Concerto pour violoncelle, etc) et où il y acquit une belle renommée qui assura sa place dans le monde de la musique européenne ? Une quarantaine d’années plus tard, en serait-il de même pour le compositeur morave ?
Joseph Colomb - juillet 2021
Source :
Zdenka E. Fischmann, Janáček - Newmarch correspondence, 1986.
Note :
1. Eric Baude et Alain Chotil-Fani ont publié en 2007 un livre éclairant sur Dvořák Antonín Dvořák, un musicien par-delà les frontières, Buchet- Chastel.
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