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2 mars 2016

Mélodies moraves de Janáček à Lyon

Mélodies moraves de Janáček à Lyon

A l’initiative de l’Association Franco-Tchèque de Lyon, avec une forte implication de son secrétaire, Gilles Mathieu, la musique de Janáček s’est distinguée à Lyon. Le 25 février, dans la Salle d’ensemble du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, Janáček a été à l’honneur au cours d’une conférence/concert. 

Tout d’abord, j’ai expliqué en quoi le compositeur était un musicien atypique. Ne se coulant dans aucun des courants musicaux qui prévalaient en Europe au début du XXe siècle, à la suite de ses collectes de musique populaire morave et de «mélodies du langage», il forgea un langage qui n’appartenait qu’à lui. Si le succès tarda tant à  lui sourire - il avait plus de soixante ans lorsque Jenůfa triompha à Prague en 1916 - sa reconnaissance par les Tchèques décupla sa force créatrice. Et les chefs-d’œuvre succédèrent aux chefs-d’œuvre.

Ensuite, comme je l’ai développé dans mon livre Janáček en France, j’ai montré comment sa musique a été introduite en France. Pendant longtemps sans aucun succès. Cependant quelques interprètes, quelques musicologues avaient compris la force de sa musique. Et ce fut la révélation lors du festival organisé à Paris et dans différentes villes en 1988 où Kát’a Kabanová et De la maison des morts gagnèrent les cœurs des mélomanes.

La diffusion de sa musique à Lyon connut un processus comparable. De l’incompréhension à un début d’adhésion, se transformant en un vif intérêt lors de la révélation de Jenůfa en 1974. Mais il reste encore du chemin à parcourir !
Le public à l'écoute du concert
Au cours de la  deuxième partie de la soirée, les mélodies moraves déferlèrent dans la salle. En 1901, Janáček conçut un recueil de 53 chants moraves qui fut publié sous le nom de Moravská lidová poezie v písních (La poésie populaire morave en chansons) numéroté JW V/2 au catalogue dressé par Nigel Simeone, John Tyrrell et Alena Němcová en 1997. Grâce au travail et à la complicité de deux interprètes, deux étudiantes du CNSMD de Lyon, la soprano Perrine Dubois et la pianiste Chloé Elasmar, les couplets de 16 de ces chants, en langue originale, révélèrent au public la richesse de la musique populaire morave rehaussée par un accompagnement pianistique subtil concocté par Janáček. Joignant le geste au chant, Perrine Dubois sut interpréter à merveille les espoirs, les doutes, le bonheur, le désespoir, la perte de l’être aimé que racontaient ces chants. Mais aussi l’humour qui nimbe certains couplets. Avec beaucoup de nuances, elle utilisa l’ensemble de la tessiture de sa voix pour faire vivre ces tableaux poétiques qui touchèrent l’auditoire. L’accompagnement pianistique composé par Janáček n’était pas écrit pour faire briller gratuitement la pianiste. N’empêche. Dans Muzikanti (Les musiciens), Chloé Elasmar transforma un court instant son piano en cymbalum. Et le galop des chevaux dans Koničky mileho (Les chevaux de l’Aimé) résonna dans la salle ! L’exécution de ces chants moraves très rarement entrepris en France - surtout chantés par des musiciens français - était un moment privilégié pour les auditeurs lyonnais. Occasion supplémentaire pour féliciter les deux musiciennes. Malgré de légers problèmes de coordination entre les deux interprètes ressentis à deux ou trois reprises, ces réserves n’entachent pas la valeur de leur prestations. Après tout, même des pianistes professionnels de grande notoriété jouent parfois une ou deux fausses notes sans que cela remette en cause leur qualité interprétative.  En complément, Chloé Elasmar joua deux pièces du cycle pianistique, Dans les brumes. Ces deux extraits démontrèrent que Janáček n’était pas seulement à l’aise dans la musique vocale, mais qu’il développait aussi son langage musical si particulier dans des œuvres pianistiques.

Perrine Dubois, soprano et Chloé Elasmar, piano dans les Mélodies moraves
 Enfin, les deux musiciennes transmirent magnifiquement l’inquiétude, l’effroi, l’espoir de Jenůfa en interprétant la scène 6 de l’acte II de l’opéra Jenůfa. L’orchestre n’était pas présent pour souligner les états d’âme de l’héroïne, mais le piano de Chloé Elasmar sut soutenir de belle façon le chant si expressif de Perrine Dubois qui se comporta comme si elle se trouvait réellement sur une scène d’opéra. Voix puissante, voix implorante, voix tendre, voix colérique, voix hallucinée. Toutes les demi-teintes présentes dans la partition s’épanouirent par la grâce de la soprano.

La Jenůfa de Perrine Dubois, au piano Chloé Elasmar
Ajoutons au contenu de cette soirée l’attrait de la remise par l’Association à chaque auditeur d’un livret illustré avec le texte original et la traduction de chacune des chansons présentées au cours de la soirée. Justement, l’Association Franco-Tchèque de Lyon peut être fière de son initiative.

Joseph Colomb - mars 2016

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