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24 mars 2016

Les Variations symphoniques et les Rhapsodies slaves de Dvořák

Les Variations symphoniques et les Rhapsodies slaves de Dvořák

Quand Dvořák écrivit en l'espace d'une année et demie ses Variations symphoniques et ses trois Rhapsodies slaves – autant de petits bijoux dans leur genre –, sa carrière franchissait un pas décisif : désormais, il serait reconnu comme compositeur de stature internationale.


Couverture de la partition des Variations Symphoniques éditées par Simrock


Il acheva d'abord les Variations, en septembre 1877. En guise de thème, Dvořák choisit une mélodie qu'il avait imaginée, quelques mois plus tôt cette même année, pour un chant choral sur un poème populaire slovaque (ou prétendu tel) : "Je suis un pauvre violoneux, on ne me donne pas le sou, j'ai beau jouer partout". Cela pourrait être l'histoire de sa propre vie : il était issu de "milieux populaires" (certes tchèques et non slovaques), son instrument favori avait été le violon et, depuis de nombreuses années, il gagnait sa maigre pitance en jouant de l'alto. En tant que compositeur il avait été longtemps ignoré, et les quelques succès qu'il avait finis par susciter à Prague n'installèrent pourtant aucune de ses grandes œuvres au répertoire ; hors de la Bohême, elles attendaient leur première audition. Ses rares partitions éditées n'avaient engendré aucune rentrée d'argent. Il poursuivait inlassablement son labeur en continuant à écrire à une cadence prodigieuse.


Le plus frappant, dans la mélodie de "Je suis un violoneux", est sa troisième note, le 4e degré augmenté de la gamme majeure, avec son effet de mode lydien. Dvořák a peut-être tiré cette idée de la musique populaire de Moravie (région tchèque à l'est de sa Bohême natale et à l'ouest de la Slovaquie), plus particulièrement du chant populaire "Převozníček" ("le passeur"). Il avait repris les paroles (mais pas la mélodie) de ce chant pour un autre de ses chœurs, qui fait partie du même recueil que "Je suis un violoneux".

Partition Variations Symphoniques ()
Début de la partition des Variations Symphoniques de Dvořák


À plusieurs égards, y compris l'usage d'une fugue conclusive, Dvořák a modelé ses Variations symphoniques sur les monumentales Variations en mi bémol (ou variations Eroica) pour piano op. 35 de Beethoven (des indices allant dans ce sens sont donnés par certaines annotations dans le manuscrit de Dvořák, annotations qui ne sont reprises dans aucune édition). Néanmoins, il fait montre d'une variété d’expression plus étendue que chez Beethoven, en partie grâce à l’usage des couleurs orchestrales. Au vu de la conclusion optimiste et exubérante il est difficile de croire qu'il perdit ses deux seuls enfants alors en vie pendant l'écriture de l'œuvre (6 août et 28 septembre 1877). Il est presque certain, cependant, qu'il utilisait une esquisse rédigée plus tôt, esquisse qui a hélas disparu.

Les Variations symphoniques furent bien reçues à leur première à Prague le 2 décembre 1877, pour être ensuite complètement oubliées pendant presque une décennie ! En 1887 seulement, Dvořák, désormais célébrité internationale, décida de remettre en lumière cette œuvre, parmi quelques autres de ses années antérieures. Hans Richter lui écrivit après leur première audition à Londres en mai de cette année :

Je n'avais encore jamais obtenu de succès si splendide et incontesté avec une œuvre inconnue, lors des centaines de concerts que j'ai dirigés. J'ai été assailli de questions. Quand cette pièce a-t-elle été écrite ? Pourquoi Dvořák l'a-t-elle laissée si longtemps inédite ?

Plus tard, cette même année, Johannes Brahms entendit les Variations à Vienne et les décrivit à son éditeur Fritz Simrock à Berlin comme "excitantes et pleines de vie", ajoutant qu'elles avaient impressionné les Viennois beaucoup plus que n'importe quelle autre œuvre de Dvořák jusqu'alors.

Simrock venait d'accepter de les éditer (avec un no d'opus reflétant la date de publication plutôt que celle de composition). À cette époque il avait publié une longue liste d'autres œuvres de Dvořák, depuis les Duos moraves qu'il avait acceptés en décembre 1877 (le même mois que la première audition des Variations), bientôt suivis par les célèbres Danses slaves écrites par Dvořák sur suggestion de Simrock.

C'est précisément à cette même époque, à partir du 13 février 1878, que Dvořák esquissa la première de ses trois Rhapsodies slaves, sans nul doute après avoir noté le goût international pour les étiquettes "Morave", "Tchèque" ou, plus généralement, "Slave".


Les Rhapsodies de Dvořák trouvent clairement leurs devancières parmi celles de Liszt, à la différence que Liszt utilisa des mélodies déjà existantes entendues en Hongrie alors que Dvořák les inventa de toutes pièces, et les développa dans une certaine mesure pour les réunir en un tout cohérent. Plusieurs commentateurs se sont efforcés de documenter le caractère "slave" de ces pièces, en pointant des similitudes, vraisemblablement fortuites et sans signification, avec certaines mélodies tchèques. Cependant, des allusions peut-être intentionnelles à des moments clefs de symphonies de Beethoven (à la 9e pour la 1e Rhapsodie, à la 5e pour la 3e Rhapsodie) n'ont pas été relevées, sans aucun doute pour la raison que le style général des Rhapsodies ne s'apparente jamais à celui de Beethoven, sans davantage évoquer quelque autre symphonie de nul autre compositeur : elles sont plus libres, plus portées sur la fantaisie (avec des modifications surprenantes de tempo et de métrique), à l'opposée d'un développement thématique "logique", et avec une dose plus grande d'effets orchestraux entraînants. Même plus que de coutume chez Dvořák, elles regorgent de mélodies qui suggèrent la spontanéité, étayées par des rythmes pleins de vitalité que nous pouvons associer sans peine à des danses populaires (pas uniquement slaves).

Couverture de la partition des Rhapsodies slaves, édition Simrock.


Simrock qualifia les Rhapsodies slaves de "fabuleuses" et elles figurèrent en bonne place dans les listes d'œuvres de Dvořák publiées hors de Bohême. La création des deux premières fut donnée sous la baguette de Dvořák lors d'un concert en novembre 1878 à Prague, mais bientôt elles firent leur chemin en Europe et en Amérique du Nord. La 3e (achevée le 3 décembre 1878) fut étrennée à Berlin en septembre 1879, et dans les six mois, elle résonna lors de nombreux concerts donnés dans un vaste espace géographique allant de Budapest à Cincinnati, dans l'Ohio. Les critiques des Rhapsodies furent toujours, ou presque, favorables. Le principal point de désaccord entre eux était de savoir laquelle des trois était la plus réussie : chacune avait ses défenseurs. Bien que Dvořák eût déjà composé, et composera encore, des pages plus monumentales et profondes, ses Rhapsodies slaves ne sont jamais tombées en disgrâce. Le compositeur n'hésitait pas à les faire figurer au programme des concerts sous sa direction, même par exemple pour sa première apparition de chef en Grande-Bretagne (1884) et en Russie (1890). Comme les Variations symphoniques, les Rhapsodies slaves occupent une place de choix parmi son riche catalogue d’œuvres pour orchestre.

David R. Beveridge
Traduction Alain Chotil-Fani
Les illustrations et leurs légendes ne font pas partie du travail original du Dr. Beveridge

Note du traducteur
Ce nouvel article de David Beveridge contient plusieurs assertions audacieuses - dans le sens où à ma connaissance elles n'avaient encore jamais été exprimées - qui auront certainement étonné les amoureux de Dvořák. Je pense bien sûr aux similitudes entre les œuvres commentées ci-dessus et l'art de Beethoven. J'ai donc contacté l'auteur pour en savoir davantage à ce sujet. Sa réponse passionnante me donne matière à une série de commentaires :



Alain Chotil-Fani, mars 2016

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