Un livre : Catalogue des œuvres de Janáček
Couverture du Catalogue |
Rassembler les œuvres de Janáček dans une brochure, rien de plus facile peut-on penser à priori. Le compositeur décédé en 1928, ses ouvrages musicaux se sont répandus depuis en nombre dans les salles de concerts. Pour n’en oublier aucun, il suffit de se plonger dans les archives conservées à Brno pour dresser la liste de ses œuvres. Une première difficulté surgit : il faut savoir lire la langue tchèque ce que peu de musicologues d’Europe occidentale sont capables. Où les trouver ? La littérature sur Janáček cinquante ans après sa disparition s’avère peu nombreuse. Heureusement, en Grande Bretagne deux musicologues parlent couramment le tchèque : Nigel Simeone et John Tyrrell. Deuxième fait positif pour ce travail, ils ont établi des contacts depuis des années avec des musicologues tchèques notamment Alena Němcová. Le premier cité, dans les années 1980 avait déjà constitué une liste des œuvres du compositeur morave. La musicologue tchèque avait également dressé une liste. John Tyrrell n’avait pas commencé à le faire, mais depuis qu’il admirait la musique de Janáček, depuis qu’il cherchait à mieux comprendre comment surgissait cette lave créatrice, il savait combien d’ouvrages il avait offert à tous les mélomanes qui voulaient bien les écouter et vibrer à un moment ou l’autre de l’audition. Cette équipe de trois chercheurs bénéficia des travaux plus anciens de Theodora Straková et Vítězslav Veselý, Bohumír Štědron ainsi que Jaroslav Procházka, autres musicologues tchèques.
Ces trois personnalités (Tyrrell, Simeone, Němcová) étaient faites pour se comprendre et surtout pour découvrir les secrets de l’enfantement musical du musicien tchèque. Ils se mirent au travail. En 1997, la brochure qu’ils délivrèrent ne comprenait pas moins de 522 pages ! En fait, ils ne livraient pas une liste si complète soit-elle, mais une masse d’informations à propos de chacune des œuvres de Janáček qui constituaient le catalogue.
Titre du livre |
Plutôt que suivre banalement l’ordre chronologique des productions musicales du compositeur, ils classèrent tous les ouvrages en différentes catégories. Quinze au total, soient :
I les opéras,
II musique religieuse,
III œuvres chorales et orchestrales,
IV chorales,
V musique vocale,
VI musique orchestrale,
VII musique de chambre,
VIII musique pour clavier,
IX Ouvrages inachevés,
X Ouvrages perdus,
XI Ouvrages prévus,
XII Arrangements et transcriptions,
XIII Musique populaire morave,
XIV œuvres envisagées,
XV Ecrits de Janáček (de XV/1 à XV/381).
A l’intérieur de chacune de ces catégories, les trois auteurs classèrent les ouvrages par ordre chronologique de création, ils indiquèrent quels instruments devaient les jouer, éventuellement quelles voix devaient intervenir. Ils précisaient la durée de chacune des pièces, où se trouvait le manuscrit, quel en était le ou la dédicataire, dressaient une liste des premières exécutions et livraient des notes parfois copieuses.
Un exemple de ces notes à propos des Řikadla, deuxième version :
après la liste des 19 pièces et la date de composition de ce cycle 14 novembre - 27 décembre 1926, note des auteurs du Catalogue de la musique et des écrits de Leoš Janáček en page 177 : « Ludvik Kundera rapporte que Janáček n’était pas satisfait de la portée et du son de la première version lors de sa première à Brno le 26 octobre 1925. Les dates sur les croquis et l’autographe de la deuxième version indiquent que les ajouts de Janáček ont été faits entre le 19 novembre 1925 et le 27 décembre 1926. Le travail a été rapporté comme terminé dans les lettres de Janáček à Kamila Stösslová (27 décembre 1926) et Max Brod (28 décembre 1926). Janáček commença à recevoir les épreuves de l’arrangement d’Erwin Stein le 8 mars 1928. »
Deuxième exemple à propos de La Petite Renarde rusée
Note des auteurs du Catalogue de la musique et des écrits de Leoš Janáček en page 48 : Genre : « Dans une interview où il mentionne pour la première fois son nouveau projet (15 mai 1921), Janacek souligne l’importance des aspects du ballet et du mime de l’opéra : ‘ Ce sera un opéra aussi bien qu’une pantomime’ . Dans sa première version (1922), la page de titre décrit l’œuvre comme une ‘bajka’ [fable] ; dans une lettre à Brod (20 mars 1923), Janacek donne le genre comme un ‘opéra-idylle’. Toutes ces possibilités ont été réduites simplement à ‘opéra’ dans la partition piano-vocal imprimée.»
Toutes ces notes à propos de La Petite Renarde rusée occupent quand même 4 pleines pages dans le Catalogue.
Rédigée par Theodora Straková, la classe XV (Ecrits de Janáček) forte de 381 opus qui occupent 128 pages de ce Catalogue. Janáček, en tant que musicien composa un nombre assez respectable de partitions. Parallèlement, il écrivit nombre d’articles plus ou moins longs dans lesquels il relatait comment il avait envisagé telle ou telle de ses œuvres, mais aussi narrait des souvenirs plus ou moins anciens, des impressions qu’il gardait d’un voyage récent ou pas, des réflexions que lui occasionnaient ses collectes de musique populaire, etc. La plupart de ces écrits avaient été publiés dans une revue ou un journal, tel Hudební listy, magazine de Brno. La collaboration du compositeur avec les dirigeants de cette revue débuta en 1884 et se termina à la fin de l’année 1888. Pendant cette période, il passa en revue des opéras tchèques, mais également des opéras et opérettes françaises, italiens et autrichiens dont les représentations avaient lieu au Théâtre Veveri à Brno. Avec ses articles, Janáček faisait d’une pierre deux coups : il se familiarisait avec un répertoire opératique en assistant à des représentations et polissait sa plume. Dans la ville de Brno et plus largement dans sa province de Moravie, ses écrits dans ce journal (et dans quelques autres) lui assurèrent une place importante dans le monde musical morave et lui créèrent une difficulté. Si Janáček était reconnu en Moravie, par contre en Bohême et à plus forte raison à Prague, cette reconnaissance l’enfermait dans un particularisme bien étroit et contribuait à le maintenir dans sa province sans pouvoir percer encore ailleurs dans le pays. Mais à partir du succès de Jenůfa à Prague en 1916, son étoile grandit en Tchécoslovaquie et bientôt en Europe occidentale.
En fin de livre, sur 10 pages, l’ensemble de la production de Janáček est reprise chronologiquement dans trois catégories (opéra, choral et chant, orchestre et instrumental) matérialisées par 3 colonnes. Suit une bibliographie conséquente s’étalant sur 16 pages. Un livre documentaire tourné vers la recherche d’indices et d’informations précises pour ses lecteurs éventuels ne peut pas se terminer sans la présence d’un index. Ce catalogue des œuvres de Janáček ne s’achève pas par un seul index, mais par la présence de trois index. Un vrai luxe. D’abord index des compositions de Janáček par ordre alphabétique, ensuite un index général et enfin un index des écrits du compositeur.
On l’aura compris, un tel volume occasionne une consultation régulière. La maison d’édition l’a bien intégré. Ce n’est pas un volume simplement broché qu’elle nous propose qui, après plusieurs mois d’utilisation, verrait certainement une ou plusieurs pages s’envoler au cours de la lecture d’un ou plusieurs articles du livre. Très sagement, les éditeurs mirent sur le marché un volume relié même si une augmentation du prix s’en suivit. Un tel volume peut résister à des années de sollicitations et constitue un base de données considérable sur les compositions et les écrits de Janáček. Tel qu’il est réalisé, il était impensable que de simples journalistes s’attellent à un simple catalogue. Les trois auteurs qui l’ont conçu et mené à bien ne pouvaient être des musicologues débutants ; il était indispensable d’avoir suivi un long parcours avec les productions musicales et littéraires de Janáček. John Tyrrell, Nigel Simeone, Alena Němcová, débutants, aucun de ces trois ne l’étaient ; quant au parcours effectué avec les œuvres de Janáček, difficile de trouver des musicologues aussi armés que ces trois auteurs. Merci à John Tyrrell, Nigel Simeone, Alena Němcová pour ce catalogue si bien fourni.
On tient avec ce Catalogue of the music and writings of Leoš Janáček un livre clé, indispensable à tout amoureux des œuvres du compositeur de Jenůfa. Pour profiter de toute la richesse de ce catalogue, il vaut mieux être coutumier de la langue de Shakespeare.
Joseph Colomb - avril 2025
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