Petite histoire de la musique tchèque et slovaque
un livre paru en 1964
En 1964 parut à Prague aux éditions Orbis un livre dû à Vladimir Štěpánek et Bohumil Karásek, Petite histoire de la musique tchèque et slovaque. Traduit par Marcel Aymonin, les lecteurs francophones purent profiter de cette édition. Découpées en treize chapitres, les 159 pages de ce livre échurent pour les dix premiers chapitres au premier auteur tandis que le second se chargea des trois derniers du livre.
Ce petit livre dénombre 181 compositeurs tchèques et slovaques que les auteurs citent au détour d’une ligne ou parfois qualifient de quelques mots et pour certains d’entre eux à qui ils consacrent quelques paragraphes, voire plusieurs pages. Ils commencent leur récit au IXe siècle au cours duquel l’empire de Grande Moravie régnait sur les peuples slaves qui habitaient sur les territoires formant bien plus tard le pays de Tchécoslovaquie. On chantait Hospodine, pomiluj ny (Seigneur ayez pitié de nous) et plus tard, au XIIe siècle le choral de Saint Venceslas. Au XIVe siècle, les pays tchèques « entrent en rapports étroits avec la France » avec la venue à Prague de Guillaume de Machault. Après la révolution hussite au XVIe siècle survient Kryštof Harant de Polžich « le meilleur polyphoniste tchèque ». Au XVIIe siècle et au siècle suivant, à l’époque baroque, l’école tchèque de musique se répand dans les principautés européennes où les musiciens tchèques se frottent aux compositeurs allemands, italiens, français. Ainsi Jan Dismas Zelenka, Bohuslav Matěj Černohorský, entre autres influencèrent des compositeurs européens qui les inspirèrent en retour. Jan Vaclav Stamic (dont les Allemands gardent la germanisation de son nom Stamitz) s’illustra dans l’école de Mannheim, les deux frères Benda travaillèrent dans les pays allemands tandis que Jan Ladislav Dusík vécut quelques années à Paris (nous le connaissons plutôt sous le patronyme de Dussek). Antonín Rejcha s’installa lui aussi en France où il mourut en 1836. Compositeur, théoricien de la musique, professeur, « Parmi ses élèves, il eut Berlioz, Liszt, Gounod et César Franck ». Josef Mysliveček, le « divin bohémien » connut le jeune Mozart en Italie. On peut encore citer Jan Hugo Voříšek, symphoniste, ami de Beethoven, qui travailla à Vienne et Jakub Jan Ryba parce que sa Missa solemnis pastoralis (Messe de Noël) est jouée encore deux cents ans après sa composition.
Quelques autres livres consacrés à la musique étaient déjà parvenus auparavant de Prague en France. Mais aucun n’avait embrassé l’ensemble de la production musicale tchèque durant la totalité de son histoire comme cette Petite Histoire. Cependant, l’époque de sa parution la marquait de signes qui ne traduisaient pas l’objectivité d’une telle production. En effet, depuis six ans, régnait en maître le parti communiste tchèque qui appliquait à l’art la ligne de Jdanov. D’autre part, même âgé, Zdeněk Nejedlý gardait une certaine autorité, bien qu’amoindrie, dans le monde artistique, donc musical, et il était bon de ne pas trop déroger à ses principes. En fait les rédacteurs du livre, en particulier Bohumil Karásek, n’avaient rien à craindre des nouvelles personnalités puissantes du secteur culturel. Pendant deux ans, entre 1950 et 1952, Karásek avait travaillé aux éditions Orbis à un poste de responsabilité. On ne pouvait que bien accueillir un livre d’un des anciens collaborateurs de cette maison. Karásek avait ensuite travaillé avec le groupe artistique militaire Vít Nejedlý, fils du « pape de la musique tchécoslovaque » Zdeněk Nejedlý. Fort de ces états de service, ce rédacteur travaillait en terrain conquis. Non seulement, il savait comment suivre cette ligne culturelle, mais il en était un acteur. Il collabora entre autres avec Antonín Sychra qui avait rejoint les partisans du réalisme socialiste.
Dès le chapitre VII, dédié à Bedřich Smetana, on retrouve ces deux influences (Nejedlý et Jdanov) qui œuvraient dans la même direction sur le cours de la musique tchèque. Enrôlé dans le camp des « compositeurs progressistes », comme le qualifiait Nejedlý, chantre du compositeur tchèque, Smetana est défini par ses véritables maîtres qui furent « Liszt et Berlioz, Schumann et Chopin.» Quant à la musique de Wagner, « il accepte sa réforme comme tous les compositeurs progressistes de ce temps, toutefois c’est pour la développer dans un esprit d’indépendance et d’originalité, afin de la faire cadrer avec les nécessités nationales. » L’auteur distinguait dans les premières compositions pour piano le caractère national que Smetana mettait en avant par « le rythme allègre de la polka tchèque, ce rythme de polka qui devait être un des traits typiques de sa manière également dans le domaine de la musique symphonique et dans l’opéra ». Après un séjour de cinq ans en Suède, Smetana revint en pays tchèque au moment où une effervescence politique et artistique secouait le pays. Dans ce temps, furent créés le Théâtre National, l’association Umělecká beseda, (Réunion d’artistes), le chœur Hlahol et la société gymnique Sokol, témoignant de bouleversements politiques et culturels dans lesquels Smetana prit sa part.
Vint le tour des opéras avec des triomphes et parfois des incompréhensions comme ce fut le cas avec son premier opéra, ses Brandebourgeois en Bohême et, plus tard, de la première Du Mur du Diable. Une fois les intrigues calmées, le succès s’installa. Enfin en 1866, vint La Fiancée vendue cet opéra-comique (1870 dans sa version définitive). Pour lui donner toute sa valeur, l’auteur signalait « sur le seul plateau du Théâtre National de Prague, en moins d’un siècle, l’œuvre a été reprise presque 2 500 fois, performance qui n’a peut-être pas d’équivalent dans le répertoire lyrique mondial. » La liste opératique s’enrichit de Dalibor, Libuše, etc. Avec au milieu de toute cette série, une œuvre symphonique en six mouvements, Ma Patrie, dont la Vltava connut une très forte notoriété. Serait-ce parce que « Smetana s’inspire de l’esprit de la musique tchèque, du sens mélodique du peuple de Bohême » que sa musique serait révolutionnaire comme l’a signifié l’auteur en s’appuyant, pour terminer son chapitre, sur Zdeněk Nejedlý « le plus autorisé des commentateurs de Smetana ». La statue étant installée sur son piédestal par les quinze pages de son chapitre, les auteurs pouvaient passer à d’autres musiciens.
Antonín Dvořák bénéficie de onze pages d’un style plutôt neutre dans le déroulement de sa vie et de sa production musicale, mais pour les Danses slaves l’auteur ne cache pas son admiration. « Grâce à leur magistrale technique de composition, à l’étincelante utilisation des moyens d’expression choisis, à leur rythme irrésistible comme à leur douceur mélodique, les Danses slaves firent très vite le tour du monde. » Cette admiration des Danses slaves se confirme avec l’enthousiasme que suscitent les poèmes symphoniques (L’Ondin, La Fée de midi, Le Rouet d’or, Le Petit Pigeon, la Chanson héroïque) « qui sont l’illustration d’une prodigieuse inspiration que le texte suscite chez l’artiste, ils représentent l’impeccable transcription en musique de l’ambiance de ballade du modèle et de sa substance dramatique. » Plusieurs des œuvres de Dvořák, dramatiques, vocales, symphoniques, de musique de chambre sont citées (La Symphonie en mi mineur dite Du Nouveau Monde, Rusalka, le Concerto pour violoncelle, etc.) L’auteur note la reconnaissance que lui signifièrent le public et les musiciens anglais et les voyages effectués par le compositeur en Angleterre marquèrent le prestige obtenu dans le paysage musical européen. « La gloire qu’il s’acquit en Allemagne fut tout aussi éclatante que ses succès anglais ». Mais il faut s’affirmer par le succès d’opéras. Après trois premières pièces lyriques, il compose Le Jacobin à la fin des années 1880. « Quel autre que Dvořák, justement, eût pu aussi adéquatement portraiturer en musique ce maître d’école-compositeur en train de répéter sa sérénade d’honneur ? » L’auteur aborde la période pendant laquelle Dvořák devient directeur du conservatoire de musique de New-York. A propos de la Symphonie du Nouveau Monde il relève les « motifs indiens et motifs nègres [qui] traduisent ces impressions engendrées par un cadre absolument neuf. » Au tournant du siècle finissant et dans les premières années du suivant, Dvořák composa trois opéras, Le Diable et Catherine, Rusalka et Armide. Rusalka est « l’ouvrage lyrique le plus joué en Tchécoslovaquie, après La Fiancée vendue de Smetana. » Et Karásek livra ce qui frappait dans cet opéra. « Lyrisme et poésie de la nature s’y trouvent mariés avec une sorte de narration sur la vie des fées, nymphes, génies des eaux et sorcières dans l’univers desquels interviennent les figures populaires traditionnelles des contes » soulignant « la partition de Rusalka offre une espèce de condensé de toutes les qualités maîtresses de l’instrumentation et de l’harmonie dvořákiennes qui, auparavant, avaient donné toute leur mesure dans le traitement du poème symphonique. »
Le dernier paragraphe du chapitre permet à l’auteur d’insister sur l’importance de l’œuvre musicale de Dvořák, « d’un exceptionnel éclat, au rythme sans pareil, à l’instrumentation luxuriante, œuvre qu’il avait consacrée à chanter les plus beaux sentiments et aspirations du peuple dont il était issu. »
Immanquablement, le troisième « pionnier » était Zdenek Fibich dont un peu plus de cinq pages suffirent à définir la place qu’il prit dans « la floraison de l’école nationale tchèque de composition » depuis que Nejedlý l’avait placé dans son panthéon de compositeurs tchèques. Fibich s’inspira de thèmes et de livrets de quelques-uns de ses amis dont l’auteur dramatique Jaroslav Vrchlický qui lui livra La Nuit de Karlštejn. Son Hippodamie « trilogie dramatique pour la scène », dépendit également de Vrchlický ainsi que La Tempête alors que l’opéra La Fiancée de Messine lui fut fourni par Otakar Hostinsky. « L’ouvrage se réclame des principes de Wagner » ; cette dépendance suffirait-elle pour que Fibich soit considéré à l’égal de Smetana et encore plus à celui de Dvořák ?
Le chapitre XI intitulé la seconde génération des classiques passe en revue une bonne vingtaine de compositeurs sur 26 pages et change de rédacteur, Bohumil Karásek. On butine ainsi de Josef Bohuslav Foerster à Vítězslav Novák, Josef Suk et Otakar Ostrčil pour arriver à Leoš Janáček dont l’étude s’étend sur quatre pages. Si l’auteur débute mal son papier en déclarant par une erreur que le compositeur « se laissa influencer par l’académisme des conservatoires de Leipzig et de Vienne », plus loin, il corrige lorsqu’il indique que Janáček « parvint à se forger un style cristallisé, une personnalité unique, représentant l’époque de son mûrissement artistique définitif ». Après la création pragoise de Jenůfa, l’auteur décèle que « l’œuvre de ce réaliste critique fut alors placée au centre de l’attention européenne et permit de découvrir d’autres compositions jugées comme l’une des valeurs fondamentales de la musique de notre temps ». Il est probable que la traduction du langage tchèque pêche par imprécision chronologique. Après avoir cité les deux premiers opéras, Šárka et Počátek románu (Début de roman), plutôt travaux de recherches que pièces accomplies, l’auteur aborde « le troisième, drame réaliste dans un village de Moravie, Jenůfa, que l’on trouve la révélation foudroyante du nouveau style lyrique de l’auteur, inaugurant toute une série d’œuvres mûries et tout à fait personnelles. » Et de citer les opéras composés à la suite du succès de Jenůfa à Prague en 1916 (et non en 1917 comme indiqué par le rédacteur), Výlety páně Broučkovy (Les Excursions de M. Broucek) et Výlet pana Broučka do měsíce (Les Excursions de M. Broucek dans la lune) Kát'a Kabanová, Příhody lišky Bystroušky (La Petite Renarde rusée et non Le petit renard rusé, mal traduit du titre original), Věc Makropulos (L’Affaire Makropoulos) et Z mrtvého domu (De la Maison des Morts). S’il est vrai que Janáček apparait plutôt comme un compositeur d’opéras, on ne pouvait pas passer à côté de ses « excellentes compositions chorales sur des textes extraits des poèmes de Petr Bezruč, Maryčka Magdónova, Kantor Halfar (Halfar le maître d’école), Sedmdesát tisíc (les 70 000) ». L’auteur ne cite que deux autres chœurs dont Potulný šílenec, (Le Fou errant), mais ignore Vlčí stopa (La trace du loup) et les magiques Řikadla, (que l’on peut traduire par le terme Dictons) pleins de fraîcheur, d’humour et aussi de tendresse. Par contre, il n’oublie pas « une étonnante cantate dramatique Zápisník zmizelého, (Carnet d’un disparu qu’en France on traduit plutôt par Journal d’un disparu) ».
Dans d’autres domaines musicaux, les œuvres pour piano, la Sonate I.X.1805, les cycles Dans les brumes et Sur le sentier broussailleux que l’on désigne plutôt par Sur un sentier recouvert, ses deux Quatuors à cordes que le compositeur a titré Sonate à Kreutzer et Lettres intimes donnent un aperçu sur des ouvrages importants. Si le catalogue des œuvres de Janáček n’est pas complet, chaque lecteur ou lectrice peut tirer de sa lecture que ce compositeur a œuvré dans presque tous les domaines et peut retenir les œuvres qu’il (elle) ne connait pas pour les écouter dès leur radiodiffusion ou leur parution sur un enregistrement discographique.
« La Messe glagolitique et la Sinfonietta, ses deux compositions suprêmes, résonnent de force vitale, de clarté et de la joie d’un habitant de notre Terre. » Enfin, pour mettre un point final à son étude, Bohumil Karásek conclut « Janáček, qui avait brisé le système romantique traditionnel de composition et qui avait rompu avec lui, trouva dans son réalisme critique de nouvelles valeurs pour la compréhension de son message artistique. Son œuvre est devenue, précisément par là, une des valeurs fondamentales de la musique européenne de notre siècle et, récemment, a revêtu un rayonnement universel. »
Au milieu des années 1960, dans son pays, on ne pouvait plus ignorer la place singulière que tenait Janáček et son apport à la musique de son pays, d’autant plus qu’en 1958, à Brno, on avait célébré le trentenaire de sa disparition par des festivités musicales et un colloque qui avait attiré des musicologues européens. Cependant, la vieille garde symbolisée par Nejedlý restait toujours vigilante devant la notoriété montante de ce compositeur dont elle avait souvent combattu les options musicales. Les rédacteurs de ce livre n’ignorait pas cet état de fait d’autant plus que la situation politique de leur pays renforçait provisoirement les thèses conservatrices. A plusieurs reprises, il fallait tenter d’attirer Janáček dans ce mouvement, d’où la présence dans la prose des auteurs de la formule « le réalisme critique » qui pouvait être interprétée comme identique à celle de « réalisme socialiste » que chaque intellectuel et artiste se devait de brandir dans ses œuvres. A un autre endroit de l’étude, lorsque Karásek écrit « Janáček se révèle réaliste critique influencé par la littérature russe » il l’inscrit dans un mouvement politique que le compositeur n’a point connu dans son pays.
Le livre se termine par deux chapitres signalant l’évolution des compositeurs tchèques de l’époque « entre les deux guerres » et « dans la patrie libérée » dont une phrase montre l’orientation « L’Etat démocratique populaire consacra, et principalement à partir de 1948, une très grande attention à l’essor de la culture et de l’art ». Deux pages dressent le portrait et l’apport musical de Bohuslav Martinů qui échappait aux diktats étatiques de cette période. Dans son long catalogue d’œuvres, sont extraits Juliette ou la clé des songes, « une de ses œuvres fondamentales nimbée de la fantaisie du rêve, L’Eveil des sources « extraordinairement captivante par son évocation de la poésie populaire », à coté de maintes autres œuvres dans des domaines variés, piano, chœurs, orchestre, musique de chambre, etc. « L’esprit de la musique populaire tchèque demeura imprimée dans l’expression de Martinů, même après ses longues années de recherche en France. »
Parmi les dizaines de compositeurs tchèques des années 1920 jusqu’à 1964, année de parution du livre, certains noms sont parvenus en France, la plupart du temps à petite échelle, par exemple Vítězslava Kaprálová qui travailla avec Martinů, Klement Slavický, Miroslav Kabeláč, Václav Trojan, Otmar Mácha, Petr Eben. Mais d’autres compositeurs tchèques « contemporains » sont cités : Svatopluk Havelka, Josef Ceremuga, Miloslav Ištvan, Jan Novák, Viktor Kalabis, etc.
Par ailleurs, ce livre apporte un lot de documentation photographique non négligeable. Il renferme à trois endroits un cahier de 8 pages pour un total de 45 illustrations, portraits de compositeurs dont trois s’étalent sur une page entière, Smetana, Dvořák et Janáček, extraits de partitions, lieux culturels, décors d’opéra…
Lorsque ce livre parut à Prague en 1964 et dans les mois suivants en France dans une traduction française, les mélomanes qui parcouraient un bout du sentier menant à Janáček et à la musique tchèque eurent une documentation de base, utile à consulter par manque d’autres études plus objectives. Ce petit livre déroulait les parti-pris des auteurs qui appliquaient l’essentiel des directives dictées par Nejedlý et Jdanov, orientations dans lesquelles d’ailleurs Karásek baignait. Le lecteur ou la lectrice française risquait de prendre argent comptant les déclarations des auteurs tant l’histoire et l’état actuel de la Tchécoslovaquie étaient plutôt méconnus dans l’Hexagone à cette époque, malgré l’existence de l’Institut des pays slaves créé par Ernest Denis en 1919. Cependant les chapitres dédiés à Dvořák et un peu plus loin à Janáček n’obéissaient pas aux injonctions de Nejedlý. Ce « pape de la musique » avait combattu avec acharnement les ouvrages de Dvořák dans les années 1910 (et un peu plus tard ceux de Janáček) les opposant sans cesse à la « vraie musique tchèque » de Smetana. Il avait entraîné avec lui des professeurs, des musicologues, dont Vladimir Helfert. Mais les succès remportés dans son pays et à l’étranger par Dvořák (et plus tard par Janáček) ouvrirent les yeux (et les oreilles) d’un nombre de plus en plus important de musiciens et de mélomanes, si bien que plusieurs disciples abandonnèrent leur maitre. Helfert en fut un exemple frappant. La pensée de Karásek s’en trouva un peu bouleversée. Pour Dvořák et Janáček, il laissa parler son intelligence et son cœur. Les censeurs ne s’en offusquèrent peu se contentant du réalisme critique que le rédacteur appliquait à Janáček. Nejedlý, tout ministre qu’il était, avait peut-être plus à faire que de s’occuper continuellement de la musique de ceux qu’il baptisait « traitres » et pouvait-il s’assurer du soutien inconditionnel de ses disciples actuels ? Situation un peu différente pour lui que quarante ans plus tôt.
Nejedlý en tant qu’apôtre de Smetana et Fibich, après ses nombreux articles, après les polémiques et invectives dont il était coutumier, réussit-il à imposer le « créateur » de la musique tchèque, Smetana, et son successeur Fibich. A cette problématique, le contenu des concerts du Printemps de Prague devrait nous apporter quelques réponses. Créé en 1946, ce festival musical se voulait une vitrine nationale et internationale de la richesse musicale du pays. Il mettait en valeur et les compositeurs et les interprètes tchécoslovaques, sans fermer ses portes à des musiciens d’autre pays. Le fait d’ouvrir chaque festival par l’audition de Má Vlast (Ma Patrie) de Smetana confirmait l’intuition de Nejedlý. Pendant les 18 années de fonctionnement de ce festival jusqu’à la sortie du livre en question, la musique de Smetana sonna aux ouïes des spectateurs au cours de 80 concerts. Celle de Fibich seulement 11 fois. Avec une si piètre présence, comment Nejedlý pouvait-il justifier la place de ce compositeur parmi l’avant-garde de la musique tchèque ? D’autant plus que les œuvres de Dvořák avec 112 présences tenaient la première place, et de loin, de ce classement et celles de Janáček se comportaient d’une manière honorable avec 56 concerts qui célébraient sa musique. Ces deux compositeurs dont ce musicologue, professeur et homme politique réfutait depuis longtemps l'importance dans la culture musicale nationale et internationale !
A partir de ces années 1960, en Tchécoslovaquie, et en France, parurent plusieurs livres traitant de compositeurs tchèques dans une traduction pour la plupart d'entre eux,
• d’abord Dvořák :
Jaromil Burghauser, Antonín Dvořák, Supraphon, Prague, 1955. (traduction française de Mojmír Vaněk, 1966).
Guy Erismann, Antonín Dvořák, Seghers, Paris, 1966.
• ensuite Smetana :
William Ritter, Smetana, Alcan (*), collection Les Maîtres de la musique, Paris, 1907.
Zdeněk Nejedlý, Smetana, 1924, Orbis, Prague - Editions Bossard, Paris.
• enfin Janáček :
Jaroslav Šeda, Leoš Janáček, Orbis, Prague, 1956
Milena Černohorská, Leoš Janáček, Editio Supraphon, Prague, 1966, traduction française Mojmír Vaněk
Joseph Colomb, septembre 2024.
Note :
* Les Editions Alcan dans leur collection Les Maîtres de la musique proposèrent aux mélomanes dès le début du XXe siècle une série de livres sur la musique et les musiciens dont : Bach, 1905 - Beethoven, 1907 - Franck, 1907 - Haendel, 1910 - Haydn, 1910 - Liszt, 1911 - Gounod, 1911 - Moussorgski, 1911 - Palestrina, 1919 - Mendelssohn, 1920 - Brahms, 1920 - Wagner, 1920 - Mozart, 1920 - Rousseau, 1920 - Massenet, 1922 - Weber, 1923 - Grieg, 1926 - Schumann, 1926 - Couperin, 1926 - Purcell, 1927 - Fauré, 1927 - Chopin, 1928 - Bizet, 1929 - Berlioz, 1930 - Verdi, 1930 - Monteverdi, 1931 - Corelli, 1933. Certains de ces livres connurent une seconde et même plusieurs éditions.
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