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28 avril 2023

Janáček adapté par d’autres compositeurs


Du piano à l'orchestre


Depuis longtemps, des compositeurs ont apposé leur vision en s’appropriant une œuvre d’un autre créateur. Ainsi Jean-Sébastien Bach a-t-il adapté des pièces d’Antonio Vivaldi qui prirent un nouvel envol passant des violons aux clavecins. Plus près de nous, le piano et les cordes d’un quatuor de Brahms se travestirent en pièce orchestrale par les bons soins d’Arnold Schœnberg. Quand ce ne fut pas le compositeur lui-même qui se saisit d’une de ses pièces pianistiques pour la transformer en ouvrage orchestral comme le pratiqua Ravel pour Ma mère l’Oye pour ne prendre qu’un exemple. Souvent l’adaptation prit le piano seul en point de départ pour arriver à la magnificence de l’orchestre entier. L’exemple le plus connu probablement toucha les Tableaux d’une exposition composé pour le piano par Modeste Moussorgski qui se vêtirent de multiples couleurs instrumentales par l’intervention d’un orchestrateur dont la résolution la plus célèbre était due à Maurice Ravel (1922), après celle de Mikhail Touchmalov vers 1891 et du finlandais Leo Funtek en 1921. Tant et si bien que cette version ravélienne occulta presque complètement pour nombre d’auditeurs la partition pour piano de ces Tableaux du compositeur russe. 


Dans les temps plus anciens, le mélomane ne pouvait accéder à une œuvre que par sa partition, pourvu qu'il sache déchiffrer l’ensemble des portées que nécessitait une pièce orchestrale. Pour l’aider dans sa lecture et son écoute ultérieure via un instrument, des compositeurs effectuèrent le travail inverse de celui de Ravel, une réduction d’une symphonie rétrécie au piano. Au XIXe siècle, Ferenc Liszt en réalisa plus d’une.


Vu de France, pendant longtemps, pendant très longtemps, Janáček fut perçu comme un compositeur inclassable, sans doute un peu amateur tant ses ouvrages déconcertaient. D’ailleurs, le fait qu’on ne lui connaissait pas d’élèves, penchait à le considérer comme un compositeur de seconde zone. Attitude un peu curieuse… Tous les compositeurs ont-ils fait école ? A partir des années 1980, des interprètes français tentèrent de jouer ses quatuors, ses pièces pour piano, sa sonate pour violon, etc. Plus ses opéras s’installaient sur les scènes opératiques de l’Hexagone, plus on reconsidérait son apport à la musique du XXe siècle.


Dans son pays, après avoir tenté, un temps, de l’attirer dans le camp du réalisme socialiste, ce que sa musique refusait de toute sa force, en dehors de la Moravie qui glorifiait son héros local, on le respecta sans obligatoirement comprendre intégralement son langage en dehors de tout courant aisément identifiable (impressionnisme, expressionnisme, sérialisme, néo-classique, etc.). Depuis quelques années, des compositeurs s’approchèrent de ses partitions, les examinèrent à la lueur des études musicologiques menées dans sa sphère d’influence géographique, comme ailleurs, par exemple en Grande Bretagne, les travaux de Charles Mackerras et John Tyrrell,  en particulier ses deux gros volumes - The lonely blackbird, Tsar of forets qu formèrent l'ensemble Janáček years of a life et en France ceux de Daniela Langer


Des compositeurs tchèques et d’autres nations s’emparèrent de quelques ouvrages de Janáček et les adaptèrent en proposant des instrumentations inédites. Ainsi Vladimir Godar offrit à Iva Bittová un accompagnement pour la Poésie morave en chansons  différent de la version originale de Janáček pour le piano par une adaptation pour quatuor à cordes.


Couverture du disque Čierna zem

Miloš Štědroń adapta quelques pièces des Nocturnes populaires originellement conçus pour un chœur de de femmes, du cycle pianistique Sur un sentier recouvert (les n° 2, 7 et 10 transcrits pour cymbalum), des Chants de Detva ainsi que plusieurs autres chants répartis dans divers cycles. Il les para d’un accompagnement rassemblant cymbalum, harmonium et les divers instruments d’un petit ensemble orchestral basé sur les cordes pour accompagner la voix des chanteurs. Sous la direction du chef d’orchestre Marek Čermák et avec le concours en particulier de deux cymbalistes Petr Gablas et Jiří Gužík, un groupe de musiciens enregistra ces adaptations sur un disque intitulé Čierna zem (Terre noire) produit en 2008 à l’occasion du 80ème anniversaire de la mort de Janáček (JM0801 - 2)


Kryštof Mařatka, à partir de Mládí réalisa un traitement pour changer le sextuor à vents en quatuor à cordes. Il y a une vingtaine d’années, Alexander Krempe et Jonathan Dove pour aider la diffusion de l’opéra La Petite Renarde rusée ailleurs que dans les maisons d’opéra composèrent chacun une version pour orchestre de chambre bientôt imités par Didier Puntos (sa partition est parue aux éditions lyonnaises Symétrie).


Dans la dernière année de sa vie Janáček reçut un courrier du directeur du théâtre de Plzen qui l’invita à donner une version orchestrale de son cycle de mélodies, Journal d’un disparu, mais il ne donna pas suite à cette demande. Après sa disparition, Ota Zítek et Václav Sedláček conçurent une orchestration dont Claudio Abbado dirigea une représentation avec l’orchestre philharmonique de Berlin qu’un disque conserve.


Richard Tognetti, compositeur en même temps violoniste et actuel chef de l’orchestre de chambre australien, a adapté pour orchestre de chambre chacun des deux quatuors de Janáček dans les toutes dernières années du XXe siècle. 


De son côté, Reinbert de Leeuw établit une orchestration de la sonate pour piano  I.X.1905 qu’entendirent les auditeurs du festival de Saintes en juillet 2014. 


Plus récemment, sous le titre Kreutzer project, Eric Jacobsen arrangea pour violon et orchestre le premier quatuor Sonate à Kreutzer composé par Janáček enregistré sur un disque Avie Records AV2555  (avec un arrangement pour violon et orchestre de la Sonate pour violon n° 9 - Sonate à Kreutzer - de Beethoven).


Il y a quelques années, Tomáš Ille s’empara du cycle Dans les brumes et de la deuxième série de l’autre cycle Sur un  Sentier recouvert pour leur appliquer les timbres d’un quatuor à cordes après le même traitement que Jarmil Burghauser pratiqua antérieurement sur la première série du Sentier recouvert. (Arcodiva UP 0199 - 2131 produit en 2017). Par ailleurs, Jarmil Burghauser réduisit le quatuor Sonate à Kreutzer pour les trois instruments d’un trio, tenant compte sans doute que Janáček pour la composition de son quatuor utilisa quelques motifs d’un trio qu’une dizaine d’années plus tôt il conçut. (1).


Sur un sentier recouvert 
adaptation de Jarmil Burghauser

Rappelons que Sur un  Sentier recouvert, ce cycle en deux parties de quinze pièces, eut une gestation compliquée. Sa partie I constituée de dix pièces vit sa composition s’étaler sur une bonne dizaine d’années. Cinq de ces pièces (1, 2, 4, 7 et 10) furent écrites en 1900 pour harmonium, le piano ou l’orgue du pauvre, pourrait-on dire. Trois autres pièces (3, 5 et 9) les rejoignirent en 1908 et les deux dernières (5 et 8) en 1911. 


En 2002, Teodoro Anzellotti, sur son accordéon, interpréta Sur un  Sentier recouvert où l’on percevait des timbres ressemblant parfois à ceux d’un orgue. (disque Winter & Winter  910 089-2)


Pochette du disque de la Camerata Zürich

En 2017, le violoniste de l’ensemble Camerata Zürich, Daniel Rumler se lança dans une nouvelle adaptation des pièces du cycle Sur un  Sentier recouvert, non seulement pour les quatre cordes d’un Quatuor, mais cette fois-ci pour l’ensemble des cordes de la Camerata Zürich. Est-ce à dire que le résultat reprenait celui de Jarmil Burghauser avec une simple amplification sonore ?


Pochette du disque du Quatuor de la Philharmonie tchèque
transcription pour quatuor à cordes par Jarmil Burghauser
de la série 1 du Sentier recouvert

Sur la première pièce du recueil, Nos soirées, en comptant aussi les onze enregistrements pianistiques que je possède, la Camerata Zürich donne la version la plus véloce. Pour Une feuille emportée, le vent souffle encore le plus fort chez les cordes suisses et l’invitation Venez avec nous s’avère aussi plus rapide que toutes autres versions au piano que j’ai examinées. Les interprètes helvétiques vont-ils continuer à se montrer les plus pressés dans les autres pièces ? Oui, encore pour les deux pièces suivantes, Les Hirondelles et La parole qui manque, mais ils abordent La Vierge de Frydek (n° 4) de manière plus tranquille laissant à Rudolf Firkusny et à Aldo Ciccolini quitter la statue de l’église de Frydek avant eux. Pour la septième pièce, les Suisses se classent dans la moyenne temporelle des pianistes. Cependant sur l’ensemble du cycle, ils sont vraiment les plus véloces dépassant le plus lent, Leif Ove Andsnes, de dix bonnes minutes.


Qu’en est-il du ressenti de leur interprétation ? Evidemment le timbre d’un ensemble de cordes ne ressemble pas à celui du piano. Pour autant, reconnait-on la musique de Janáček ? On ne ressent pas tout-à-fait les mêmes accentuations. Dans la première pièce, les cordes alanguissent trop le premier thème. Elles sont moins percutantes que le piano dans le manuscrit. De son côté, la version Burghauser pour les seules cordes d’un quatuor sonne plus franche et semble plus en accord avec la partition de Janáček.


Une feuille emportée (pièce 2). Rudolf Firkušný signe une version légère comme une feuille emportée par le vent en n’insistant pas sur les remous qu’elle subit de la part d’un souffle qu’il simule d’une manière plus souple, sans insister. Par contre les cordes de la Camerata sont plus abruptes, moins dans la nuance et la feuille est balayée par un vent plus violent, tourbillonnant parfois. Est-on vraiment dans le jardin du compositeur ou dans sa forêt de Babí Hůra ? 


Venez avec nous (pièce 3). Sans conteste, les cordes zurichoises se montrent bien plus véloces que tous les pianistes. Dans leur version, il ne s’agit pas d’une invitation à accompagner, mais plutôt d’une empressement à emboîter un rythme précipité que lancent les hôtes. Trop de vigueur, voire un peu de brutalité que n’efface pas les toutes dernières mesures, beaucoup plus modérées.


La Vierge de Frydek (pièce 4). Pour le début de la pièce, la comparaison avec la version pour quatuor est à l’avantage de ce dernier qui introduit quasi majestueusement le thème alors que l’orchestre est dans la retenue sonore, retenue qu’il perdra au bout de 1’ 20’’ avant un retour au calme sonore dans les trente dernières secondes. Entre temps, on croit presque entendre un grand orchestre qui alourdit l’expression musicale. Avantage au quatuor y compris dans les notes graves que les quatre instruments font résonner comme un orgue


La cinquième pièce chez les cordes suisses ressemble à une danse presque débridée par moments. Dans un temps ramassé par rapport à l’original pianistique, ces bavardages entraînent l’auditeur dans une danse parfois endiablée, d’une vivacité irrésistible qui semble inviter les auditeurs à venir rejoindre les musiciens sur la piste de danse. Cette interprétation ne répond sans doute pas complètement aux orientations menées jusqu’à présent par les musiciens, mais elle est cohérente tout au long du morceau. Qui peut revendiquer cette unité de ton et de jeu ? L’orchestrateur ou les interprètes ? Difficile de trancher d’autant plus que l’orchestrateur fait partie prenante des interprètes…


La parole manque ! (pièce 6) que la musique remplace. La version pour cordes épouse sans brusquerie les changements de tempo et de climat perceptifs sur la version d’Alain Planès à son piano, mais les cordes suisses manquent un peu de finesse parfois. Il est souvent difficile de passer des touches du clavier aux cordes frottées et pincées


Débutant dans un ton recueilli mezzo voce, la septième pièce se déroule dans un fortissimo qui tranche sur l’atmosphère originale que traduisait mieux le timbre du piano. Dans le court motif qui accompagne la mélodie, les notes feutrées enveloppent la nostalgie alors que les cordes tranchent trop l’atmosphère.


Anxiété indicible (pièce 8).  Quels faits angoissaient le compositeur et à quelles occasions ? Etaient-ce les journées et les nuits pendant lesquelles Olga quittait peu à peu le monde des vivants ? On bien lors de la première représentation de Jenůfa dans la salle du théâtre Veveri à Brno ou encore douze ans plus tard à Prague au moment où Janáček vainquit les refus successifs du chef Kovařovic de monter son premier opéra ? Gagnerait-il les cœurs de ses compatriotes ? En fait, cette pièce composée en 1911 se présentait comme la dernière des dix pièces composant le cycle Po zarostlém chodníčku (Sur un sentier recouvert) édité par Arnošt Píša à Brno cette même année. Cette anxiété pouvait donc viser les deux premiers événements évoqués plus haut, mais pas directement la création pragoise (Jenůfa) de 1916. Encore que en 1911, le compositeur tentait toujours avec l’aide de plusieurs de ses amis à convaincre le chef d’orchestre de l’opéra de Prague à monter son opéra. Musicalement, ces pages pour cordes résistent-elles à une comparaison avec le jeu du piano ? Ces hoquets qui débutent la pièce les entend-on comme ils surgissent au piano ? Pas tout à fait. Par ailleurs, la puissance de toutes ces cordes, graves et aigües, écrase un peu les diverses nuances musicales que transmet la partition pour piano. 


En pleurs (pièce 9) manque de souplesse dans cette pièce et surtout de nuances pour l’orchestre à cordes.


La chouette ne s’est pas envolée (pièce 10 datant de 1900)

Une légende morave veut que dans une maison renfermant un malade si la chouette posée sur la fenêtre ne s'envole pas, ce malade est condamné. Malgré la santé précaire d'Olga, rien ne laissait présager, au moment de la composition de cette pièce, une fin dramatique de la fille de Janáček à peine trois ans plus tard. Il serait illusoire de déceler dans cette composition une prémonition de l'avenir dramatique de la fille du compositeur comme cela fut insinué par quelques musicographes, attirés sans doute par le côté tragique de cette disparition.


Pour goûter Sur un sentier recouvert aux cordes, il vaut mieux oublier les interprétations pianistiques de ce cycle et se laisser porter par cette orchestration qui devient ainsi un double de la partition originelle avec toutefois un caractère propre. Alors on pourra apprécier cette orchestration pour l’ensemble des cordes d’un orchestre de chambre et en savourer les charmes sans se référer obligatoirement à la partition première. Il y a cinquante ans, en France (et même en Suisse) nous n’aurions jamais eu une transcription d’une œuvre de Janáček alors que ce compositeur était encore si peu connu. Son temps est venu depuis une trentaine d’années et depuis, un certain nombre de compositeurs n’hésitent pas à plonger dans la poétique du compositeur morave et dans son langage si particulier, si gorgé de vie et de passions. Les différentes transcriptions fournies par plusieurs musiciens démontrent aussi que Janáček pour les acteurs du monde musical tient une place remarquable puisqu’on n’hésite pas à se pencher sur certaines de ses œuvres et à les transcrire pour tel ou tel instrument ou groupe instrumental.


Sur l’enregistrement de la Camerata Zürich, lorsque l’ensemble des cordes cesse de chanter, la parole d’une poétesse, Maïa Brami, prend le relais. En dix parties, semblables en nombre à celles de la musique, elle brosse des tranches de vie du compositeur en se focalisant sur sa dernière année sans négliger d’autres aspects de sa vie tant sentimentale que musicale. Lorsqu’à Hukvaldy,  dans son village natal, dans les derniers jours de sa vie, août 1928, Janáček passe quelques journées avec Kamila et son fils Otto, Maïa Brami évoque cet épisode vécu avec la muse du compositeur, mais également convoque la présence de sa fille adorée, Olga, disparue alors qu’elle n’atteignit pas ses vingt-et-un ans perturbant la chronologie temporelle. Le pouvoir des poètes les autorise à bouleverser la succession des années.


La poétesse Maïa Brami ©BenedekHorvath


En 1917, dans la station thermale de Luhačovice, le compositeur rencontra une jeune femme, Kamila, à qui il offrit des roses. Dans l’imaginaire de Maïa Brami, et peut-être dans celui de Janáček, la jeune femme devient une « magnifique rose rouge ». Puisque Kamila a enfin accepté l’invitation du vieux compositeur de venir dans son village, il peut s’exclamer par l’intermédiaire de la poétesse « Dieu que j’aimerai retenir l’été, moi qui ai passé ma vie à l’attendre ! Te retenir, ma rose, puisque tu es enfin là : m’inonder de ta lumière, de ta voix, de la cadence de tes pas à l’étage : visage basculé en arrière… »


Otto se perd dans la forêt.  « Ton fils, je vais le retrouver. Personne ne se perd dans ma forêt. Personne ! On s’assiéra sous l’arbre aux sauterelles, comme jadis je le faisais avec ma fille. Je lui chanterai l’air du bandit Ondráš (2) et il rira. Et ses fossettes me rappelleront les tiennes.

Ma rose, ton fils, je vais le retrouver. »


Dans sa forêt, Janáček - qui a tant collecté des chants et danses moraves, qui a tant admiré Zofka (3) danser dans l’auberge U Harabišu - après qu’il aura retrouvé Otto, imagine : « Nous danserons tous les trois, mais je ne verrai que toi : tes éclats de rire comme autant d’hirondelles (4), ta main pressée dans la mienne. » Le cœur du musicien s’affole. Retour en arrière en février 1903. « Ah ! ma fille, les yeux fermés, tu respirais encore ! Si pâle, qu’on voyait la trame bleutée des veines dans ton cou, sur tes paupières. Oreille contre ta bouche, des jours, des nuits, sur un carnet j’ai retranscrit ton cœur : jusqu’à ce qu’il blanchisse, jusqu’à la tierce descendante de ton dernier soupir. »


Olga sa fille, et l’amour paternel que lui témoigna Janáček, Kamila, jeune femme sur laquelle le compositeur reporta un amour non vraiment partagé, mais dont il se satisfaisait, vivant cet amour par procuration. Olga, Kamila, deux figures de la femme aimée. Maïa Brami les réunit dans les songes et les élans du vieil homme passant simultanément de l’une à l’autre suivant les songes et l’état émotionnel du musicien.


« Otto, Otto ! » Il tend l’oreille. « La mante religieuse me fixe, immobile. Terrifiante. La mort dressée, prête à bondir.

Ses yeux noirs dans mon dos, alors que je cours la bouche pleine de fruits, tentant de lui échapper. 

En vain. » Comme si le compositeur voyait sa fin de vie prochaine le traquer.


Lorsqu’il n’avait que trois ans, un incendie ravage la brasserie d’Hukvaldy. Janáček se souvient qu’on lui a raconté cet événement. Par un raccourci que seule la poésie permet, la poétesse mêle Olga à ce brasier. « Le village embrasé, la forêt rendue folle, l’âme des arbres s’élevant, d’or et de cuivre en fusion. Comme tes cheveux ma fille, mon icône russe, comme tes cheveux roux pris dans le chêne. Il en est tout auréolé. Un instant, laisse-moi démêler leur soie attrapée dans ses branches. » On revient dans la forêt où le compositeur continue de rechercher le fils de sa « rose rouge ».  Il ne craint rien « La renarde sera déjà auprès de lui. » Evidemment, ce sera la petite renarde rusée, titre de son opéra de l’année 1925. 


Tout à sa recherche, à travers les pistes, Janáček emprunte-t-il un « sentier recouvert » (dont il dota son piano de quinze pièces de 1900 à 1911) ? Il s’adresse à sa rose, sa muse : « De ta fenêtre, entends-tu le hibou, ses ailes qui déchirent l’air ?

Entends-tu le hibou, ma rose, ses ailes qui s’abattent comme le destin ?

Dans ses serres, il m’emporte loin de toi.. » 

Maïa Brami lui attribue une prémonition de sa propre mort quelques jours après la recherche d’Otto.


Ecouter l’ensemble des cordes de la Camerata Zürich interpréter Sur un sentier recouvert et écouter ensuite les dix poèmes écrits et contés par Maïa Brami d’une voix prenante est une expérience rare. Elle mérite d’être soulignée. Ce disque est à marquer d’une pierre blanche. ECM New Series 2597 485 6432 sorti en 2021. En plus des pièces Sur un sentier recouvert, les musiciens de la Camerata Zürich sous la direction d’Igor Karsko, le premier violon de l’ensemble, interprètent la Méditation sur le choral Saint Wenceslav, op 35a de Josef Suk et le Notturno en si majeur op 40 d’ Antonín Dvořák tandis que la voix expressive de Maïa Brami évoque les relations de Janáček avec sa fille Olga et avec Kamila Stösslová. Dans une langue sobre et pourtant riche en émotions, la poétesse fait écho aux émotions de Janáček lorsqu’il les transcrivit dans sa musique pour piano et que l’orchestration réalisée par Daniel Rumler n’efface pas malgré des différences de climat, de couleurs sonores et de timbres avec l’original. 


Joseph Colomb - avril 2023


Je remercie la poétesse Maria Brami d’avoir bien voulu me communiquer l’intégralité de son si beau poème inspiré par la musique de Janáček. Toutes les expressions et phrases en rouge sont extraites de son poème. Site de la poétesse.


Vous pouvez écouter Maïa Brami interrogée par Hélène Pierrakos - c'est fortement recommandé ! - elle explique comment elle a été influencée par la musique pour piano de Janáček et par les recherches qu'elle a effectuée pour écrire ses poèmes. Pour écouter, c'est ici.


On peut également entendre des extraits de la transcription pour orchestre à cordes du cycle Sur un sentier recouvert par les interprètes du disque cité ci-dessus, Camerata Zürich, mais les poèmes de Maïa Brami, intercalés entre les pièces musicales, sont dits en langue allemande. 


Notes : 


1. Ce même trio (catalogué X/22) eut une existence éphémère. Après sa création le 2 avril 1909 à Brno et d’éventuelles exécutions ultérieures, la partition manuscrite disparut, probablement en 1914. 


2. Ondráš, le premier des 13 Chants d’Hukvaldy (La poésie populaire d’Hukvaldy en chansons) V/4 dans le catalogue dressé par Nigel Simeone, John Tyrrell et Alena Němcová.


3. Voir l’article le feuilleton Ma Lachie


4.  allusion à la pièce 5 du cycle Sur un sentier recouvert.


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