Une Carmen tchèque ?
Alors que la musique tchèque, avant tout celle de Smetana et de Dvořák, entrait au compte-gouttes en France au début du XXe siècle, certains tendaient une oreille ou du moins examinaient la vie musicale des provinces tchèques de l’Empire austro-hongrois aussi sérieusement qu’ils le pratiquaient pour les créations à Vienne, à Berlin ou encore en Italie.
Ainsi, dans «L’Ouest-Artiste» du 9 mai 1908, on trouvait cette notule :
On vient de représenter à Prague une continuation parodique de Carmen, Carmencita, dont le sujet découle de ce que Don José n’aurait pas tué, mais seulement blessé Carmen. Il paraît que l’action est purement niaise ; la musique utilise des thèmes de Bizet pour leur juxtaposer des contrepoints grotesques d’un effet trop facile. La première était donnée au bénéfice d’un comique très aimé du public de Prague. Sans cette circonstance, l’œuvre indécente par sa stupidité aurait été chutée et sifflée d’importance. Parodier est certes un droit, mais il faut savoir le faire avec esprit, dit le Monde Artiste.
Que retenir de cet écrit ? D’abord que l’extrême notoriété de l’opéra de Bizet ne se limitait pas à l’Hexagone (un millier de représentations à Paris depuis la création) et aux scènes étrangères proches. En Europe centrale, on s’y intéressait aussi. Ensuite, les relations culturelles franco-tchèques s’appuyaient non seulement sur la littérature, la peinture, mais également sur l’opéra. Enfin, le contenu de cet article n’incitait guère le lecteur à tenter d’en apprendre un peu plus sur cette opérette.
Il ne m’a pas été possible de retrouver la note du Monde Artiste. Par contre, le Bulletin français de la Société Internationale de Musique en date du 15 mai 1908 apporte un maigre complément d’information. On y apprend que l’opérette a été donnée au nouveau Théâtre allemand de Prague (1) et que l’auteur en était Paul Zoehovlich (2). Puisque l’intrigue prenait prétexte que Carmen à la fin de l’opéra de Bizet était toujours en vie, l’auteur de l’opérette imaginait qu’elle avait eu une enfant. C’est la vie de cette fille qui faisait la trame de son œuvre. Il y était ajouté que «cette opérette n’a pas réussi».
On pourrait clore ici. Il faut pourtant relever l’exigence de certains cercles provinciaux. Les relations franco-tchèques ne touchaient pas seulement Paris et le milieu étroit des intellectuels et des professeurs de la capitale. A Nantes, on se montrait aussi soucieux de connaissance de la musique venant d’autres horizons et donc des pays tchèques, même si, dans ce cas très précis, le jeu n’en valait pas la chandelle. Cette curiosité nantaise, on la retrouva une vingtaine d’années plus tard, lorsque la salle Gigant accueillit quatre instrumentistes réunis sous le patronyme de Quatuor slovaque, mais qu’on préférait dénommer Quatuor tchécoslovaque ou encore Quatuor de Prague pour être compris du plus grand nombre.
Merci à Michelle Bourhis, musicologue, qui m’a communiqué cet article de L’Ouest-Artiste.
Joseph Colomb - janvier 2016
Notes :
1. Au début du XXe siècle, la population de Prague était encore composée de deux groupes ethniques, l’un de langue tchèque, l’autre de langue germanique. Chacun fréquentait des établissements d’enseignement et des centres culturels distincts. Il existait depuis longtemps dans la ville un Théâtre allemand. Le Théâtre National tchèque fut érigé en 1881 grâce à une souscription populaire. La population de langue allemande, pour répliquer à l'initiative des Tchèques, se dota d’un nouveau théâtre pour remplacer l’ancien Théâtre des Etats.
2. J’ignore quels autres ouvrages a composé Paul Zoehovlich.
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